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n°87 - octobre-novembre


Enjeux de la prévention chez les homosexuels et bisexuels masculins au Sud et au Nord

Michael Bochow
sociologue, Intersofia (Berlin)








La conférence de Durban, à la différence des précédentes, a laissé une place relativement réduite à la thématique de la prévention en milieu homosexuel. Deux questions bien différentes ont été débattues. Celle du contexte de la prévention auprès des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH) dans les pays en développement et celle du contexte préventif à l'ère des multithérapies dans les pays industrialisés.

Différentes communications, dans le cadre d'ateliers communautaires, ont présenté le contexte de la prévention auprès des HSH dans des pays en développement. Le pessimisme est partagé par la plupart des acteurs : les fortes contraintes religieuses et culturelles rendent difficile la possibilité de mener des actions ciblées.

La prévention dans un contexte de stigmatisation
La situation de l'Inde est à cet égard exemplaire. Ashok Row Kavi (The Humsafar Trust, Mumbai, Inde) a évoqué la tradition séculaire de rapports sexuels entre hommes. Dans ce pays, les hidjras, groupe de transsexuels qui portent des vêtements de femmes et s'identifient au rôle féminin, est particulièrement développé. Les hidjras forment également une communauté religieuse et remplissent un rôle rituel. Leur nombre est estimé à 2,5 millions. Cette frange de la société indienne a été non seulement négligée par le système de santé des Etats indiens dans les années 80 et 90, mais également systématiquement exclue. Et ce, malgré le fait que la grande majorité des infections par le VIH en Inde au début des années 90 a concerné la population masculine. En 1998, Ashok Row Kavi indique que plus des trois quarts des personnes séropositives sont des hommes. Ce n'est qu'en 1999 que la transmission du VIH entre hommes a été incluse dans la surveillance sentinelle indienne. Ashok Row Kavi met cette négligence sur le compte des structures et mentalités patriarcales de la société indienne. Sur le plan du culte et de la culture, les pratiques homosexuelles et de travestissement sont reconnues, mais l'orientation homosexuelle est perçue de manière extrêmement négative. L'homosexualité est considérée comme une construction sociale de l'occident décadent. Ashok Row Kavi insiste sur la nécessité de soutenir les groupes gay pour promouvoir la prévention du VIH, ces groupes étant les seuls à être en relation avec les homosexuels masculins qui sont stigmatisés.

Le tableau dressé par Romeo Tshuma (Gays and Lesbians of Zimbabwe, Harare) sur la situation de son pays est encore plus sombre. L'homosexualité est dans la culture de ce pays un tabou absolu. Les langues principales du Zimbabwe ne connaissent pratiquement pas de termes neutres pour homosexualité et homosexuels. En revanche, les termes péjoratifs ne manquent pas. Les églises chrétiennes insistent sur les principes de mariage, fidélité et abstinence sexuelle et empêchent l'élaboration d'une prévention réaliste. La propagande anti-homosexuelle, systématique au Zimbabwe, représente également un obstacle à ce que le groupe gay et lesbien créé dans les années 80 soit reconnu comme association d'assistance publique. Romeo Tshuma considère comme positive la coopération des partis d'opposition avec son association. Cependant, celle-ci est encore loin de pouvoir effectuer un travail de prévention ouvert et étendu sur l'ensemble du pays.

D'autres exemples de la difficulté du travail préventif ont été présentés à Singapour et au Mexique1. Dans ces deux pays, les hommes gay luttent toujours pour une reconnaissance contre la stigmatisation et la marginalisation. Les rapports homosexuels étant tabous, il n'est pas possible d'effectuer des campagnes de prévention pour les hommes homosexuels ou bisexuels à l'échelle régionale ou nationale.

Le sida et l'inégalité entre les sexes
Ces exemples, illustrent le fait que le succès de la prévention du sida dans les pays industrialisés ne peut être qu'en partie attribué aux acteurs qui y ont participé, même s'il n'y a pas lieu de minimiser leurs mérites. La prévention du sida en Allemagne, en France ou aux Pays-Bas bénéficie d'un rapport entre les sexes nettement plus symétrique qu'en Inde ou en Afrique. Sans cette relative égalité, les succès du mouvement de lutte contre le sida et du mouvement gay (ces derniers déterminant en partie les premiers) ne seraient pas imaginables. Geeta Rao Gupta, présidente de l'International Center for Research on Women à Washington, a confirmé cette hypothèse dans son exposé en session plénière sur les rapports entre genre, sexualité et VIH/sida (lire son article)2. Elle a montré que la misogynie masculine fait tort aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Les conceptions traditionnelles sur la valeur de la virginité augmentent la vulnérabilité des femmes en les privant de toute autonomie. Les idéaux masculins traditionnels renforcent un idéal du moi invincible, du combattant solitaire qui n'a besoin de personne. Geeta Rao Gupta a souligné le fait que la prévention du sida et des maladies sexuellement transmissibles (MST) doit s'attacher à convaincre les hommes que des femmes plus fortes ne les rendent pas plus faibles. Si on surmonte les rôles traditionnels marqués par le patriarcat, alors, l'homophobie, barrière sociale importante au succès de la prévention parmi les hommes gay, diminue nettement.

Les recherches traitant de ce thème ont deux types d'objectif : appréhender le plus précisément possible l'incidence des contaminations par le VIH dans la population homosexuelle et son évolution ; analyser les changements de comportements déclarés et leur attribution au nouveau contexte thérapeutique.

Le problème des enquêtes menées auprès des hommes gay est qu'elles ne sont jamais représentatives. On ne dispose pas, en effet, d'un repérage précis de la population concernée. C'est pourquoi il faut toujours être prudent lorsqu'il s'agit de généraliser les résultats obtenus. L'étude3 présentée par Ron Stall a, à cet égard, une importance particulière. Dans les quatre métropoles des Etats-Unis ayant les plus importantes communautés gay (New York, Chicago, Los Angeles, San Francisco), des enquêtes représentatives ont pu être réalisées. Des interviews ont été effectuées par téléphone, particulièrement dans les quartiers à forte proportion homosexuelle. D'après une enquête auprès de 95 000 foyers, la proportion d'hommes déclarant des rapports sexuels avec d'autres hommes varie dans ces quartiers de 1,6 % à 33,6 %. 2 881 interviews ont été effectuées, auprès de 78 % des homosexuels identifiés. L'étude montre à quel point les homosexuels sont plus touchés par le VIH aux Etats-Unis qu'en Allemagne ou en France (21 % des personnes interrogées à San Francisco sont séropositives, 15 % à New York). Les différences selon la classe sociale sont importantes Des études américaines précédentes avaient négligé cet aspect. 12 % des personnes interrogées disposant d'un diplôme universitaire (Master's Degree) et 37 % de celles qui n'en disposent pas, sont séropositives ou malades. Non seulement les usagers de drogues intraveineuses sont plus fréquemment séropositifs, mais cela est également vrai des usagers d'autres drogues (drogues à la mode dans les boîtes de nuit par exemple). Dans le quartier de Castro à San Francisco, l'étude fait apparaître un recul de la prévalence du VIH parmi les hommes gay de 49 % (1985) à 25 % (1998). Ceci est à mettre sur le compte de la prévention. Cependant cette prévalence, toujours élevée, souligne l'ampleur des tâches qui restent à accomplir. Les auteurs de l'étude estiment que, dans ces métropoles, un homme sur dix ayant des rapports homosexuels est séropositif. Cette proportion est de un sur trois pour ceux qui sont afro-américains. Sans une prévention massive, le sida risque de demeurer une épidémie endogène dans la population homosexuelle et bisexuelle masculine des Etats-Unis.

Le travail canadien présenté par L. Clazavara4 documente l'évolution du taux d'incidence dans la province d'Ontario. Elle s'appuie sur un recensement des contaminations réalisé chez les personnes qui se font dépister plusieurs fois dans les centres de dépistage. La recherche montre que l'incidence du VIH parmi les hommes ayant des rapports homosexuels est passée de 1,9 % personnes par an (1992) à 1,0 % personnes par an (1996). En 1998, elle est remontée à 1,5 % personnes par an. Aucune différence n'a été constatée entre les hommes des groupes d'âge de 20 à 29 ans et de 30 à 39 ans.

Depuis que l'on parle de barebacking (" montage à cru " ; cette expression qualifie un choix délibéré de pratiquer la pénétration anale non protégée sans préoccupation du statut sérologique du partenaire), on discute régulièrement la question de savoir si l'existence des multithérapies conduit les homosexuels à négliger la prévention. Des sociologues de Sydney5 rapportent que le nombre de personnes interrogées ayant eu des rapports sexuels non protégés avec des partenaires, qui n'étaient pas leur compagnon, au cours des six mois précédant l'enquête a doublé entre 1996 et 1999. Parmi les hommes se sachant séronégatifs, le taux est passé de 9 % à 24 % et parmi les hommes se sachant séropositifs, de 26 % à 45 %. Des collègues australiens et anglais ont construit une échelle d'optimisme/pessimisme vis-à-vis des multithérapies basée sur cinq items. La relation entre comportement à risques et optimisme vis-à-vis des multithérapies était significative à Sydney et Melbourne pour les hommes séronégatifs et séropositifs. A Londres, la relation n'existait que pour les hommes séronégatifs. Pour les hommes non dépistés, il n'y avait aucune relation, ni à Londres, ni à Sydney/Melbourne6.

Une étude des Centers for Diseases Control (CDC)7, réalisée auprès de 5 000 hommes séropositifs ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes, et qui n'ont pas de partenaire régulier séropositif, montre que le pourcentage d'hommes pratiquant la pénétration anale non protégée a augmenté entre 1995-1996 et 1997-1998 : 3 8 % vs 29 %, parmi ceux qui pratiquent la pénétration anale, cette pratique ayant elle même significativement augmenté : de 44 % à 51 %.

Le recul des comportements préventifs parmi les homosexuels masculins aux Etats-Unis en raison de l'existence des multithérapies est confirmé par les données de la cohorte MACS en Californie, présentées par David Ostrow8. Les personnes qui déclarent être moins préoccupées par les risques liés au VIH (risque de transmettre le virus pour les personnes séropositives, risque d'être contaminé pour les personnes séronégatives), sont les mêmes que celles qui déclarent des comportements non protégés.

Aux Pays-Bas, des résultats similaires sont démontrés à partir de la Amsterdam Cohort Study9. La relation positive établie entre prise de risque et résultats cliniques (augmentation du nombre de CD4) ou virologiques (baisse de la charge virale) concerne un nombre trop faible de personnes séropositives (36) pour être généralisée. Mais, elle indique que l'amélioration de la santé est potentiellement un facteur d'augmentation des risques, qualifié par les auteurs de " Hourrah Effect " et que les acteurs de prévention doivent prendre en considération.

David Ostrow insiste sur les conséquences de ces résultats pour la prévention : " Malgré la diminution des risques dans les premières années de l'épidémie, environ la moitié des homosexuels séronégatifs et séropositifs, qui pratiquent la pénétration anale, n'utilisent pas systématiquement le préservatif. Le " ras-le-bol " du sida est également un bon prédicteur du sexe anal non protégé chez les hommes séropositifs. Les programmes de prévention devraient prendre en considération les raisons sous-jacentes à la sexualité non protégée à l'ère des trithérapies ".

Comme cela a été discuté dans le cadre de la session communautaire sur la prévention au temps des multithérapies, il est important, dans le cadre de la prévention primaire, de rappeler que les multithérapies présentent d'importants inconvénients pour la qualité de vie et que le sexe à moindres risques permet également d'éviter les hépatites, la syphilis et les autres maladies sexuellement transmissibles (MST). La prévention du sida doit être systématiquement replacée dans le cadre général de la promotion de la santé. Cela concerne en particulier les jeunes générations, et doit tenir compte des différences entre les divers milieux sociaux et les diverses scènes gay.



1 - Community Mamelang session, " Keeping it safe - maintaining gay safe sex practices in the light of treatmen of HIV ", CMO4.
2 - Gupta G., " Gender, sexuality and HIV ", WeOr60.
3 - Stall R., " The distribution of HIV infection among men who have sex with men : a household-based sample of four large urban centers in the USA ", ThOrC716.
4 - Calzavara L., " Increasing HIV incidence among MSM repeat testers in Ontario, Canada, 1992-1998 ", ThOrC718.
5 - Prestage G., " Sexual behaviour during a four-year period within a cohort of australian gay men ", WePeD4768.
6 - Van de Ven P., " International differences among gay men in HIV optimism and sexual risk behaviour - a report from London, Melbourne, Sydney and Vancouver ", LbPp105.
7 - Denning P., " Increasing rates of unprotected anal intercourse among HIV-infected men who have sex with men in the Unite States ", ThOrC714.
8 - Ostrow. D., " Attitudes towards highly active antiretroviral therapy predict sexual risk-taking among HIV-infected and uninfected gay men in the multicenter AIDS cohort stud (MACS) ", ThOrC719.
9 - Dukers N., " Recent increase in sexual risk behavior and sexually transmitted diseases in a cohort of homose ual men : the price of highly active anti-retroviral therapy ", ThOrc715.