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n°60 - novembre 97
Profound immunosupression across the spectrum of opportunistic disease among hospitalized HIV-infected adults in Abidjan, Côte D'Ivoire Grant A.D., Djomand G., Smets P., Kadio A.? Coulibaly M., Kakou A., Maurice C., Whitaker J.P., Sylla-Koko F., Bonard D., Wiktor S.Z., Hayes R.J., De Cock K.M. AIDS, 1997, 11, 1357-1364 |
Une étude de terrain conduite en milieu hospitalier à Abidjan établit les corrélations entre statut immunitaire et affections les plus fréquentes.
Connaître les pathologies liées au VIH est indispensable pour adapter les stratégies thérapeutiques et diagnostiques. Mais on connaît mal la prévalence des infections opportunistes en Afrique et on dispose de peu d'informations sur le niveau d'immunodépression auxquelles elles surviennent. Plusieurs publications, en particulier sur des données d'autopsie (1) (Transcriptase n°24), ont déjà montré que la tuberculose est en Afrique la principale infection opportuniste et que les infections bactériennes récidivantes sont fréquentes. La pneumocystose (PCP), à la différence des pays du nord où elle représente la première pathologie opportuniste, et la toxoplamose sont plus rare sur le continent africain. Cette étude présente l'intérêt de décrire les pathologies présentées par des patients hospitalisés dans un service de maladies infectieuses à Abidjan.
L'étude a été conduite en 1995 dans le service hospitalo-universitaire de référence des maladies infectieuses à Abidjan sur une période de trois mois et demi (27 mars-13 juillet). Les cinq premiers patients " consentants ", âgés de plus de 15 ans, admis chaque jour dans le service étaient inclus. Les patients qui décédaient quelques heures plus tard ou qui étaient atteints de tétanos étaient exclus. Un bilan était systématiquement réalisé (recherche de plasmodium, numération sanguine, hémocultures, sérologies des VIH-1 et 2, de la syphilis et de la toxoplasmose, antigène cryptocoque, examen des selles, radio de thorax). Des investigations complémentaires étaient réalisées en fonction du tableau clinique (ponction lombaire, scanner cérébral). Pour chaque patient, le diagnostic était considéré comme "confirmé" s’il était étayé par des examens complémentaires (radiologiques ou bactériologiques) ou "clinique" si le diagnostic reposait exclusivement sur des arguments cliniques.
Parmi les 268 patients éligibles à leur admission dans le service de maladies infectieuses, 250 patients ont été inclus. Ce chiffre représente 23% de toutes les admissions dans ce service pendant la période d'étude. Près de 80% (n=199) des sujets inclus étaient infectés par le VIH à un stade d'immunodépression déjà avancé puisque 39% (n=78) avaient un taux de CD4 inférieur à 50/mm3 et 76% (n=157) inférieur à 200/mm3. La co-infection VIH-1/VIH-2 était fréquente puisqu'elle représentait 11% des contaminations.
Les quatre principaux diagnostics observés étaient†: une septicémie (20%), un syndrome cachectique (16%), une méningite (14%) et une tuberculose (13%). Les hommes présentaient significativement moins souvent un syndrome cachectique que les femmes (12 % versus 24%). La toxoplasmose cérébrale ne représentait que 7% des cas et un diagnostic de toxoplasmose sur deux n'était pas confirmé par une imagerie, le diagnostic reposant sur des arguments cliniques et biologiques (tableau clinique évocateur et sérologie de la toxoplasmose positive). Seulement 3% des patients présentaient une candidose œsophagienne "clinique".
La tuberculose, la toxoplasmose cérébrale et les septicémies étaient les trois pathologies qui survenaient sur le terrain d'immunodépression le plus sévère (taux de CD4 < 50/mm3), alors que le taux moyen des CD4, chez les patients qui présentaient une méningite ou une infection à isospora, était plus élevé (taux de CD4 >100/mm3).
Parmi les patients qui présentaient une septicémie, les salmonelles étaient les bactéries les plus souvent identifiées (12% de la totalité des pathologies) alors que le pneumocoque n'a été isolé que chez 4 sujets.
Le pourcentage de décès parmi les patients est très élevé quelle que soit la pathologie (38%). Les taux de mortalité par méningite, par tuberculose et par toxoplasmose cérébrale étaient supérieurs à 50%. Le pourcentage de décès parmi les patients qui présentaient une septicémie était également élevé (46%).
Les auteurs ont étudié les facteurs associés au risque de décès. Les résultats de l'analyse (univariée) montraient que les patients ‚gés de plus de 40 ans présentant soit une température supérieure à 38°, soit des troubles de conscience, soit un taux d'hémoglobine inférieur à 8g/L soit un taux de CD4 inférieur à 50/mm3 avaient un risque de décès élevé. Lorsque l'analyse (multivariée) tient compte de tous ces facteurs, on démontre que l'existence de trouble de conscience est le facteur de risque de décès le plus important. Un patient présentant des troubles de conscience avait près de 10 fois plus de risques de décéder (OR = 9,3) qu'un sujet qui ne présentait aucun trouble. Un ‚ge supérieur à 40 ans ainsi qu'un taux d'hémoglobine < 8g/dl étaient également des facteurs de mauvais pronostic alors que le niveau d'immunodepression du patient (mesuré par le taux de CD4) n'augmentait pas le risque de décès.
Plusieurs remarques peuvent être faites à la lecture de cette étude :
- Les patients sont diagnostiqués à un stade évolué de l'immunodépression. Jusqu'à présent, il était généralement admis que les patients infectés par le VIH en Afrique décédaient à un stade peu avancé du déficit immunitaire. Cette hypothèse pouvait expliquer en partie la rareté de la pneumocystose en Afrique, les décès survenant alors avant l'apparition de cette pathologie. Cette n’étaye pas cette hypothèse puisque près de 40% des sujets avaient un taux des CD4 inférieure à 50/mm3 mais le biais de recrutement hospitalier, important en Afrique, doit venir nuancer cette conclusion.
- Une prise en charge thérapeutique précoce, efficace et des moyens d'investigations pourraient considérablement réduire la mortalité chez les patients infectés en Afrique : 75% des pathologies diagnostiquées chez ces patients disposent d'un traitement curatif. Il s'agit de plus, dans la majorité des cas, d'une thérapeutique accessible et peu onéreuse. Les auteurs ont étudié la sensibilité des souches isolées : 73% des souches restent sensibles au cotrimoxazole, antibiothérapie fréquemment utilisée dans ces pays. En revanche, on peut s'interroger sur l'impact des prophylaxies de la PCP et de la toxoplasmose sur la mortalité. La prévention des infections bactériennes et de la tuberculose auraient probablement plus d'impact sur la survie. Dans un article publié dans AIDS (2) (Transcriptase n°39), T. Aisu et coll. ont montré que la prévention primaire de la tuberculose, mÍme si elle s'avère efficace, est difficile à mettre en oeuvre sur le terrain africain. Dans tous les cas, une meilleure accessibilité aux soins des patients infectés par le VIH permettrait de diminuer de façon significative la mortalité.
- Cette étude confirme une fois de plus que la pneumocystose est une pathologie peu fréquente (fréquence estimée entre 0 et 22% selon les études chez les sujets présentant une symptomatologie pulmonaire). Une seule étude, réalisée au Zimbabwe en 1992, avait observé une fréquence plus élevée de PCP en Afrique (33%) (3). En revanche, la prévalence de la tuberculose (13%) dans cette étude est faible comparativement aux résultats de l'étude réalisée par l'équipe de Kevin De Cock sur des autopsies à Abidjan en 1991, où cette pathologie représentait 32% des décès (1). Comme le soulignent les auteurs, l'étude comporte un biais de recrutement puisque les patients présentant une symptomatologie pulmonaire pouvaient être hospitalisés dans le service de pneumologie de l'hôpital, sous estimant ainsi le nombre de tuberculoses et de PCP.
A côté des médicaments antirétroviraux qui, grâce à l'inititative de l'Onusida, vont être mis prochainement à la disposition de quatre pays du Sud (Ouganda, Côte d'Ivoire, Vietnam et Chili), il est indispensable de tout mettre en úuvre pour diagnostiquer et traiter précocement les pathologies liées à l'infection à VIH, comme la tuberculose et les infections bactériennes, afin d'améliorer la qualité de vie et allonger la survie des patients des pays en développement.
- - SB Lucas, A Hounnou, C Peacock et al. " The mortality and pathology of HIV infection in a West African city " AIDS, 1993, 7, 1569-1579
- - T Aisu, MC Raviglione, E Van Praag et al. " Preventice chemotherapy for HIV - associated tuberculosis in Uganda : an operational assessment at a voluntary counselling and testing centre " AIDS, 1995, 9, 267-273
- - A Malin, L Gwanzura, S Klein et al. " Pneumocystis carinii pneumoniae in Zimbabwe " Lancet, 1995, 346, 1258-1261