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SWAPS nº 9

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Actualité internationale

Buprénorphine : vers la consécration aux Etats-Unis ?

par Florence Arnold-Richez et Didier Touzeau

Trois thèmes fondamentaux ont orienté les discussions des chercheurs et des cliniciens réunis à Scottsdale (Arizona) du 13 au 18 juin 1998 pour la soixantième conférence annuelle du CPDD (College on Problems of Drug Dependance) : la nécessité du développement aux Etats-Unis des nouveaux traitements de substitution (buprénorphine, Naltrexone) ; la question des interactions entre drogues et système immunitaire et le problème de la cocaïne et de l'absence de traitements pour en soigner l'abus.

La buprénorphine apparaît désormais outre-Atlantique comme un traitement alternatif à la méthadone, essentiellement parce qu'elle n'impose pas de délivrance quotidienne et le monopole " lourd " de centres spécialisés.

Une étude new yorkaise (1) a démontré la faisabilité d'une délivrance en pratique privée, à raison de trois à quatre fois par semaine.

Les chercheurs ont mené deux études ouvertes en collaboration avec des psychiatres de ville privés qui recevaient leurs patients à leurs cabinets et leurs délivraient le traitement à titre onéreux. Le premier protocole de sevrage concernait 40 sujets : 4 % étaient encore abstinents au bout de 12 mois après la sortie du programme. Le second protocole concernait 23 sujets en maintenance avec possibilité de bénéficier d'une adaptation des posologies, obligation de passer 3 à 4 fois par semaine et prise du traitement sur place : à 14 mois, 16 sujets étaient abstinents, 4 consommaient de l'héroïne occasionnellement, et les 3 derniers sont " sortis " du programme au bout de deux mois. A la fin de cette période, tous ont rechuté, sauf 4, encore abstinents 6 mois après la fin de l'expérience. Cette communication souligne l'intérêt récent des Américains pour la dispensation possible des traitements de substitution et la prise en charge des toxicomanes en pratique privée .

Deuxième point important : les femmes enceintes peuvent tirer profit de cette modalité de traitement de substitution. Deux études ont été présentées sur ce sujet. La première, conduite par une équipe autrichienne (2), concerne 10 patientes en traitement (moyenne d'âge 24 ans, recevant en moyenne 8 mg de buprénorphine en lieu et place de méthadone et de morphine), dont l'induction de traitement a été faite en hospitalisation. La buprénorphine a bien été tolérée pendant la grossesse. Les 10 enfants étaient en bonne santé et n'ont pas souffert de syndrome de sevrage.

La seconde étude (3), préliminaire à une étude en double aveugle, fait l'hypothèse et montre que le syndome de sevrage de la buprénorphine est plus court et dure moins longtemps que celui de la méthadone.

La comparaison entre les différents traitements de substitution proposés a également retenu l'attention de plusieurs spécialistes, en particulier de Harald Eder de Vienne (4). Il a étudié, pendant 24 semaines, les comportements de 20 patients, recevant un dosage moyen de 7,3 mg de buprénorphine en glosettes sublinguales, et de 20 autres, prenant 63 mg de méthadone (racemate). Le groupe méthadone a de meilleurs résultats en ce qui concerne la rétention dans le programme, mais les auteurs pensent que la raison est liée à l'insuffisance de la dose de buprénorphine. Dans le travail de Richard S. Schottenfeld (5), à doses hebdomadaires équivalentes de buprenorphine (112 mg par semaine pour 70 kg), les résultats observés sont équivalents pour une délivrance quotidienne ou tri-hebdomadaire. Chawarski, de la même équipe, évalue, dans une étude portant sur 60 patients (6), la biodisponibilité des tablettes de buprénorphine (comprimés sublinguaux) à 80 % (les évaluations précédentes s'élevaient à 50/60 %) de la même dose de buprénorphine en solution. L'étude de Kory J.Schuh (7) sur 14 patients, a montré, pour sa part, que la tablette de buprénorphine entraînait des taux plasmatiques plus bas qu'une dose équivalente de buprenorphine en solution sublinguale.

Une autre équipe (8) a publié un essai chez des volontaires sains, chez qui l'injection de buprénorphine (4, 8, et 16 mg) a permis de mettre en évidence des effets euphorisants rappelant la drogue. Ils ont suggéré, en conclusion, que cela pourrait entraîner un détournement par la voie intraveineuse de la buprénorphine...

Drogues et système immunitaire : un mauvais ménage

Les drogues ont non seulement des effets très délétères sur le système nerveux, mais elles dépriment le système immunitaire et rendent les usagers plus sensibles aux infections.

On sait maintenant que des cellules du système immunitaire possèdent des récepteurs aux drogues, notamment à l'héroïne et au cannabis. Les récepteurs sont identiques dans le cerveau et le système nerveux (9). Ainsi, on a la preuve que les opioïdes et les dérivés du cannabis dépriment l'activité du système immunitaire. Témoin en est l'interférence de ces molécules avec les cellules inflammatoires migrant sur les sites d'une blessure et d'une infection, en réponse aux cytokines - des molécules qui attirent les cellules inflammatoires -, lesquelles régulent également la réplication du virus VIH (10). D'autres études (11) ont montré que les opioïdes rendaient les souris plus sensibles aux infections, comme les salmonelloses, dont on sait qu'elles sont plus fréquentes et plus sévères chez les consommateurs de drogues. Enfin, les opioïdes sont susceptibles d'augmenter la réplication du VIH dans des cellules en culture. Par conséquent, selon une étude élaborée à partir d'un modèle animal (12), les consommations de drogues pourraient être un facteur d'aggravation du sida et de progression de la maladie.

Cocaïne : l'impuissance relative

Malheureusement, cette année n'a pas apporté d'éléments nouveaux en ce qui concerne les traitements de la cocaïnomanie.

Aucune molécule testée n'a montré d'efficacité digne de ce nom. En revanche, les recherches s'orientent sérieusement vers l'utilisation de psychostimulants dopaminergiques (études précliniques de Kuhar et Glowa) ou des agonistes opiacés kappa (Partridge, Shippenberg et Kreek) suceptibles de parvenir à atténuer les signes de sevrage. La réussite est toujours proportionnelle à la qualité de l'accompagnement psycho-social.

Le NIDA (National Institute on Drug Abuse) patronne également une Clinical Rapid Evaluation Screening Trial CREST), qui " court-circuite " les procédures habituelles d'expérimentation dans le but de tester des médicaments d'aide au sevrage de la cocaïne, dont le besoin se fait sentir avec de plus en plus d'acuité. Pendant huit semaines, une soixantaine de volontaires, âgés de 18 à 59 ans, recrutés par voie de presse, radio, télévision, ont essayé, qui de la Réserpine, qui de la Lamotrigine, qui du Gabapentin, qui un placebo. Chacun continuait à suivre une psychothérapie individuelle de type comportementaliste, voyait le médecin ou l'équipe 3 fois par semaine (dont une de ces séances se déroulait avec un médecin responsable de l'étude), rencontrait le pharmacien qui leur délivrait le traitement à l'étude. L'hypothèse de départ était que ces trois médicaments sont susceptibles de bloquer les effets de la cocaïne, de réduire le craving (besoin compulsif), et de renforcer la capacité du toxicomane à gérer son manque et à lui trouver une réponse adéquate autre que la rechute. Les premiers résultats ont été encourageants en ce qui concerne le taux de rétention dans le traitement et leur bonne tolérance. Mais leur efficacité réelle n'a pas encore été prouvée (13). Une autre expérimentation, conduite sous l'égide du NIDA au MDRU de Cincinnati (14) , a voulu tester l'efficacité de la Naltrexone dans le traitement de la dépendance à la cocaïne : 46 patients, âgés de 26 à 50 ans (âge moyen : 38,8 ans), ont été enrôlés dans cette étude, dans le cadre d'un programme résidentiel de traitement : 23 ont reçu de la Naltrexone (25 mg au début, 100 mg à la fin), 22 un placebo, pendant 28 jours à l'issue desquels ils étaient suivis en ambulatoire (15 semaines en tout). Les résultats ont été très décevants sauf sur deux points : les sujets sous Naltrexone avaient, semble-t-il, un craving nettement moins intense et impérieux que ceux qui recevaient un placebo, et un comportement moins " hostile ".

En dépit de ces résultats plutôt négatifs, le NIDA conclue, malgré tout, que la Naltrexone reste une solution a étudier de façon plus approfondie et plus rigoureuse dans cette indication.

Pour le moment, tous les efforts se concentrent donc sur l'accompagnement des patients, ses modalités spécifiques (en traitements résidentiels ou ambulatoires, avec prise en charge en communauté thérapeutique, avec ou sans octroi de vouchers ou bons pour " bonne conduite " (15). Aussi de nombreuses études portent-elles sur la façon d'évaluer l'intensité du craving, les facteurs qui influent sur lui, et donc les facteurs psychologiques, matériels, sociaux, prédictifs de rechute (motivations, confiance en soi, force de de certaines évocations, logement ou absence de logement, etc. (16). Un poster très remarqué (17), du Center for Drug and Alcohol Programs de la Medical University of South Carolina de Charleston, sélectionnait une dizaine de diapositives, représentant des situations liées à l'usage de crack (argent, poudre, canette-pipe, paraphernalia de l'usager de crack...), servant de base aux mesures psychométriques de l'émotion soulevée par certaines images spécifiques, triées soigneusement au préalable, chez les usagers. On évalue ainsi l'intensité des stimulations, la force du rejet éventuel suscitées par des évocations matérielles données. Le but de ces tests et mesures étant, bien sûr, de dresser des échelles d'évaluation de la sévérité de la dépendance au produit, d'élaborer des conduites de counselling et de trouver la meilleure voie psychothérapique


(1) Richard B.Resnik, Elaine Resnick, Colette Pycha, Marc Galanter, New York University Medical Center.

(2) Gabriele Fischer et coll., Université de psychiatrie, Vienne.

(3) R.E. Johnson et coll., Johns Hopkins University School of medicine et NIH/NIDA/IRP, Baltimore.

(4) Harald Eder, G. Fischer and coll., Vienne : essai randomisé entre buprénorphine et méthadone.

(5) R.S.Schottenfeld, Patrick G. O'Connor, Juliana Pakes, Marek Chawarski et Michael Pantalon, Yale University and The APT Foundation, New Haven, CT.

(6) M.C Chawarski, R.S. Schottenfeld, J. Pakes et P.G. O'Connor, Department of Psychiatry, Substance Abuse Center, Yale University, New Haven.

(7) K.J.Schuh, Charles R.Schuster et Chris-Ellyn Johanson, Wayne State University School of Medicine, Detroit.

(8) Marilyn Huestis, Annie Umbricht, Kenzie L.Preston, Edward J.Cone, NIDA/NIH/ Baltimore.

(9) Martin W. Adler, Temple University School of Medicine, Philadelphia, Pharmacological evidence for opioid receptors in the peripheral immune system .

(10) John H. Halpern et coll., Mac Lean Hospital, Harvard Medical School, Belmont et Brigham and Women's Hospital-HMS de Boston, Massachussetts, Diminished cytokine IL-6 response in men and women after IV cocaine administration.

(11) Jean M. Bidlack, Tracey Ignatowski, University of Rochester, New York, Localization of the kappa opioid receptor in the mouse immune system and the effect of lymphocyte activation on receptor expression.

(12) S.J. Henriksen et coll., The Scripps Research Institute, La Jolla, Californie, Opiate-induced effects on viral replication, immune status and physiopathology: observations in the feline model of AIDS .

(13) S. Paul Berger et coll., Cincinnati- MDRU, Ohio.

(14) E. Somoza et coll..

(15) Voir le travail de Stephen T. Higgins, University of Vermont College of Medicine de Burlington, Vermont, Research on the community réenforcment approach to outpatient treatment of cocaine dependence. Et celui de Kenneth Silverman de la Johns Hopkins School of Medicine, Baltimore, A reinforcement-based therapeutic workplace for drug abusers .

(16) Voir le travail de E.G. Singleton et coll., Johns Hopkins University, Baltimore, Craving and drug use during treatment.

(17) Présenté par S.F Coffey et coll..