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SWAPS nº 8

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Note de lecture

Le Témazépan : une drogue British ?

par Marc Jamoulle

Trois auteurs anglais, du National Addiction Center de Londres ont publié en 1997 dans Psychotropes un article en français(1) portant sur l'usage détourné d'une benzodiazépine très prescrite en Grande Bretagne jusqu'à son récent retrait. Les auteurs procèdent à une revue de la question de l'abus de benzodiazépines dans les années 80 à 90 et montrent que ce problème est en constante augmentation et semble suivre fidèlement l'engouement médical pour les tranquillisants.

C’est ainsi qu’en Angleterre, le produit étudié, un anxiolytique somnifère de courte durée d’action, a fait l’objet de 265 millions d’ordonnances entre 1980 et 1989. L’évidence du lien entre héroïne et benzodiazépines est concrétisée en Angleterre par une association étonnante de consommation (jusqu’à 98 % dans une étude). La présente étude, réalisée en septembre 1995, a probablement contribué au retrait, trois mois plus tard, de la prescription du Témazépam. Celui-ci avait auparavant fait l’objet d’un reconditionnement pour le rendre moins facilement injectable. Il s’est avéré que la nouvelle forme (gélule remplie d’un liquide) était probablement plus dangereuse que la première (comprimé).

Il s’agit donc d’une enquête par questionnaire qui a pour objectif de mettre en évidence les modes d’usage du Témazépam ainsi qu’une éventuelle différence d’utilisation et d’effets toxiques entre les deux formes galéniques.

Le profil des usagers

Les auteurs ont procédé à une double enquête. Tout d’abord une enquête par interviews auprès de 100 toxicomanes dans trois centres de traitement de toxicomanes du sud de Londres. Etaient retenus comme éligibles les toxicomanes injecteurs ayant consommé au moins une fois du Témazépam. Ensuite une enquête par téléphone, douze questions en 15 minutes, auprès de 12 intervenants-clés de toute l’Angleterre (10 institutions).

Voici le profil obtenu des usagers :

Caractéristiques

100 usagers de drogue intraveineuse d’un âge moyen de 35 ans, en traitement par méthadone depuis en moyenne 18 mois,
80 % sans emploi,

68 % hommes,

44 % consomment actuellement de l’héroïne.

Mode d’usage du Témazépam

Injection de comprimés au moins une fois 18 %,


Injection de gélules au moins une fois : 46 %,

utilisation actuelle en intraveineuse : 5 %.

Très forte variation de 10 mg à 1 g par jour (max 50 gélules en 1 fois).

Les gélules sont préférées aux comprimés (p < 0,01).

Complications(décrites pour 31% des usagers)

Accident avec blessure, agressivité, perte de mémoire, thrombophlébite,


Problèmes plus graves avec les gélules injectées qu’avec les comprimés
(p < 0,02).
Angleterre, 1995, Enquête sur l’utilisation du Témazépam, Principaux résultats.

Les intervenants signalent de grosses variations dans les habitudes nationales, régionales et même locales. La tendance est de discerner deux types d’usages : l’un associé à la consommation d’héroïne, l’autre associé à l’utilisation de la cocaïne, d’amphétamines ou d’XTC.

A partir du 1er janvier 1996, les omnipraticiens n’ont plus eu le droit de prescrire du Témazépam en gélules et toutes les formes de Témazépam font l’objet d’une surveillance.

Les auteurs soulignent que le Témazépam n’était pas " vraiment " vécu comme gratifiant par les usagers, et recommandent une surveillance attentive du marché des benzodiazépines.

Critiques

Cette étude inspire deux réflexions :

Il est demandé aux usagers quels effets ils obtiennent avec le Témazépam, mais l’enquête ne porte pas du tout sur la question de savoir pourquoi ils prennent des benzodiazépines à haute dose et pas d’autres produits, alors même que -comme le soulignent les auteurs- cette prise ne paraît pas gratifiante. Il apparaît pourtant que les benzodiazépines sont très proches de l’héroïne dans leur effet sédatif et que la première raison de leur emploi par les usagers d’héroïne est le remplacement temporaire de l’héroïne manquante (substitution autogérée). La deuxième raison serait le contrôle de l’anxiété engendrée par la fin de l’effet des excitants du système nerveux central (Descente de Cocaïne, fin d’effet d’XTC) (automédication de l’angoisse).

L’usage des benzodiazépines est donc ici quasi thérapeutique, soit comme substitutif, soit comme calmant dans une population dont l’accès à la thérapeutique et au savoir semble pour le moins difficile.

Dans quatre pays européens

Il n’est pas certain cependant, comme le souligne les auteurs, que l’usage de telle ou telle benzodiazépine soit lié à une sous-culture de groupe. Le Témazépam était en Angleterre sous prescription médicale et on peut tout aussi bien voir des différences marquées d’usage entre zones géographiques comme des différences d’habitude de prescription chez les médecins.

Angleterre
Belgique
Espagne
France
Restoril
Normison
Lévanxol
Témador
Euhypnos
/////////////////////////////////////////
Normison
Le Témazépan et sa distribution dans 4 pays.
Utilisé comme drogue de rue en Angleterre seulement

Bien que la Belgique dispose de quatre formes commerciales de Témazépam, ce produit n’y a jamais fait l’objet d’un marketing de masse, et il est relativement peu utilisé par les médecins. Par contre, le Flunitrazépam (Rohypnol®) est le somnifère de référence depuis les années 70, et cela, associé à sa pharmacocinétique particulière (équivalence de rapidité d’action par voie orale ou intraveineuse), lui a donné une place de choix comme " thérapeutique " de l’usager de drogues(2).

En France, le Témazépam (Normison 10 & 20 mg) semble n’avoir jamais fait l’objet d’un marché illicite alors qu’en Espagne il n’est pas commercialisé(3). En revanche, le Chlorazépate (Tranxène® en France et en Belgique, Tranxilium en Espagne) figure au hit-parade des benzodiazépines utilisées par les toxicomanes et prescrites par les médecins. Et dans ces trois pays, c’est le Flunitrazépam qui bénéficie d’un vrai marché noir, relayé en Espagne par l’Alprazolam (Tranquimazin). En Belgique, ce dernier produit, vendu sous le nom de Xanax, est mis en vedette par la firme productrice qui vante de façon agressive son activité anxiolytique et sa capacité à effacer les crises de paniques. Beaucoup de patients en sont maintenant totalement dépendants, mais les toxicomanes n’en n’ont pas, ou pas encore, l’usage. Le Bromazépam (Lexotan) offre une situation semblable. Tout se passe en réalité comme si un marché captif se constituait autour de produits-clefs dont les patients habituels abusent normalement (Valium, Rohypnol, Xanax, Lexotan, Tranxene en Belgique) en connivence complète avec leurs médecins prescripteurs. Parmi ces produits, les plus proches de l’héroïne par leur effet flash sont élus par les usagers de drogues qui recherchent activement les médecins prescripteurs abandonniques de leur responsabilité.

On peut être rassuré toutefois par la capacité de nos collègues anglais à contrôler leur marché. Il a fallu en effet plusieurs années et la détermination d’auteurs réputés comme ceux de cette étude pour reclasser la prescription de Témazépam. Cette expérience semble avoir servi puisqu’il n’a fallu que quelques mois ensuite pour bannir le Flunitrazépam et confirmer le Rohypnol® dans la classe des drogues interdites(4).

De plus, depuis l’interdiction de prescription du Témazépam par les omnipraticiens, les morts sur ordonnance de ce produit ont baissé considérablement (5).

On peut espérer, de la part des autorités sanitaires nationales et européennes, une attitude aussi résolue face au laxisme des industries productrices et des médecins prescripteurs.


(1) Gossop M, Best D, Marsden J. Consommation abusive de Témazépam en Grande-Bretagne, Psychotropes -R.I.T 1997 3, 7-18.

(2) Jamoulle M. Le Rohypnol, une drogue dure amnésiante. Psychotropes -R.I.T 1992, 2, 53-68

(3) Information obtenue des Drs. Beaumadier (France - Généraliste et Toxicomanie) et Mendive (Madrid)

(4) Anonyme. Rohypnol buried. Drug ISDD link, may/june 1998, 13 (3)

(5) Gilhooly TC. Reduction in use of temazepam is factor in deaths related to overdose
BMJ, 29 Nov. 1997