![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
La Fondation Phenix, fondation privée à but non lucratif, partage le "territoire" genevois avec la Division d'Abus de Substances dépendant des Hôpitaux Universitaires de Genève, dont l'une des figures bien connues est le Dr Annie Mino.
Le Dr Jean-Jacques Deglon, psychiatre et directeur de la Fondation, pionnier en Europe des taitements à la méthadone, et défenseur infatigable de la cause des toxicomanes, nous a reçus dans "la maison-mère" de la Fondation, dans le quartier verdoyant de Chêne-Bougeries.
Elle tient à la fois du temple calviniste et de l'auberge de jeunesse sans fuites dans le toit, et, c'est vrai, de "la maison-mère-père". Au fond, on y viendrait bien faire une petite halte pour boire un thé et manger une Forêt-Noire. "Nous avons tenu à respecter dans chacun de nos centres (il y en a quatre en tout, répartis dans la ville), la présence forte d'une image paternelle et d'une image maternelle. Nous insistons sur l'accueil le plus chaleureux possible mais aussi sur une certaine fermeté sécurisante", explique Jean-Jacques Deglon. Entendez par là, que Barbara Deglon et son époux Jean-Jacques, tous deux quinquagénaires de choc, sont sûrement les premiers "parents-aubergistes" de la Fondation, mais non les seuls. Et ne le prétendent nullement. Maria, l'infirmière "chef", Michel Bourquin, Jean-Louis Martin, médecins, Rachel et Denise, accueillantes, Claudio Crotti, psychologue ou Christophe Quiénot, infirmier en psychiatrie, peuvent aussi jouer ce rôle. C'est vrai que Route de Chêne comme à Grand-Lancy, Grand-Pré ou Plain-Palais, on prend sa méthadone "à la cuisine" plutôt qu'à un guichet froid et quasi bancaire à l'américaine (d'ailleurs, ironie, l'un des centres de la Fondation, celui de Plain-Palais, est installé dans une ancienne succursale de banque, mais on en a justement condamné le guichet!). Que les salles d'attente sont plus des salons que des purgatoires médicaux. Ce n'est pas une raison pour ne pas prendre en compte toutes les ressources possibles de prise en charge de ces malades qui, en Suisse, comme en France, sont de plus en plus démunis, lourdement atteints par les hépatites, le sida, le chômage, la déshérence... Et la consommation très inquiétante et importante de cocaïne!Brochettes sur le feu...
"Nous sommes passés de la pensée unique à l'éclectisme thérapeutique
", explique Jean-Jacques Deglon, qui confie: "Moi-même, j'ai dû admettre que le recours à certaines thérapies, que je jugeais fumeuses, avaient un intérêt indéniable, comme l'acupuncture et l'auriculothérapie, mais aussi la relaxation, les massages, le Shiatsu... Nos patients, qui connaissent mieux que nous les effets des drogues sur leur corps nous décrivent tous des bénéfices surprenants qu'ils retirent des "petites aiguilles" fichées dans l'anthelix et autres parties de leurs oreilles." Et d'ajouter, lui qui est le responsable des "thérapies médicamenteuses" lourdes: "Une explication acceptable pour moi semble liée à l'excitation par les aiguilles de certaines terminaisons nerveuses qui stimuleraient les systèmes endorphiniques"."Quoi qu'il en soit, c'est un fait, "les patients se bousculent pour bénéficier, avec une rare assiduité, de ces séances. Et du coup, nous profitons de l'expérience d'un médecin chinois, enseignant l'acupuncture à la Faculté de médecine de Shangaï, en séjour pour quelques mois à Genève. Et nous avons établi un petit protocole pour mesurer plus exactement les résultats de cette méthode ".La coke au screening
Quittons la sphère orientale, revenons au "temple": en sous-sol, comme dans chaque demeure suisse, un abri anti-atomique, un peu surréaliste mais néanmoins régulièrement inspecté, nous rappelle que nous sommes en Helvétie, pays neutre mais ô combien obsédé par les déflagrations militaires. Contre un mur, des stocks de bidons de sirop orange et rouge pour reconstituer la méthadone en bonbonnes doseuses distributrices. Au bout du couloir, le laboratoire d'analyses urinaires et salivaires automatisées. Dans chacun des centres, il est possible de réaliser, grâce aux robots Syva-ETS System, ETS Plus (Immunoessay), des dosages de très nombreuses substances dans les urines (cocaïne, benzodiazépines, cocaïne, etc.). Route de Chêne, on a même introduit un dispositif nouveau - "la salivette" -, capable d'analyser, à l'aide de morphine radioactive, les prélèvements de salive obtenus par tampons introduits dans la bouche, puis centrifugés. Ces analyses sont faites en moyenne deux fois par semaine, non point pour éliminer des "contrevenants" éventuels au contrat thérapeutique de la maison, mais pour pouvoir évaluer l'état de stabilisation ou de malaise du patient, et aussi tenter de gérer le difficile problème des consommations concomitantes de cocaïne: "Ces prises répétées, entraînent chez nos patients, plus fragiles que d'autres, des complications dépressives ou paranoïdes qui les poussent à reprendre de l'héroïne pour échapper à des angoisses insupportables. Nous avons d'aileurs mis en place un plan de crise, multiplié les contrôles de cocaïne dans les urines, adapté la pharmacothérapie prescrite, en donnant à ces patients des antidépresseurs, en leur demandant de venir tous les jours, en renforcant leur prise en charge psychosociale, voire en les hospitalisant à la Villa Les Crêts ou au SERAN (Hôpitaux Universitaires de Genève) pour un sevrage d'une dizaine de jours." Et puis, ces contrôles permettent aussi de repérer ceux qui, "métaboliseurs rapides" de la méthadone, sont perpétuellement sous-dosés, même avec la dose plafond de 140mg par jour en usage à la Fondation, et qui, de ce fait, ont tendance à "compenser" le manque par un abus d'alcool, de benzodiazépines, d'héroïne. Ainsi, on pratique une méthadonémie, 24 heures après la dernière prise, un taux de 400 nanogrammes (milliardièmes de grammes par ml de sang) permettant une saturation constante des récepteurs morphiniques et un meilleur équilibre des patients (valeur reconnue dans toutes les études internationales). "Dans certains cas particuliers de métaboliseurs ultra-rapides, nous avons du augmenter la dose quotidienne de méthadone jusqu'à 250mg par jour, pour obtenir une stabilité suffisante sans aucun effet de sédation ni d'euphorie ", explique Jean-Jacques Deglon.
Au rez-de chaussée, l'accueil, les "salons d'attente", le secrétariat, la terrasse-véranda ouverte sur le jardin. A l'étage, les bureaux feutrés des "psychothérapies". Sous les toits, l'aide à l'insertion (un programme d'expérimentation d'aide à la formation rapide et sérieuse des personnes en difficulté a vu le jour à Genève: au bout d'un certain temps, si l'entreprise n'a pas placé la personne formée chez elle chez un collègue, sa subvention baisse). Et aussi l'Administration. Un escalier, une autre aile, et c'est le deuxième centre attenant, avec une deuxième "cuisine-méthadone-café-thé...", son salon d'attente, sa salle de thérapies corporelles.
La maison est ouverte de 6 h à 18 h 30, sans discontinuer, ce qui prévient l'effet "masse" des "méthadoniens" qui doivent faire file d'attente sur quelques créneaux horaires dans d'autres lieux. En programme méthadone, le premier centre de Chêne-Bougeries, accueille 80 patients, le second 120, celui de Grand-Lancy, 80, celui de Grand-Pré, 95, et de Plain-Palais, 160. Chaque année, un quart des effectifs est renouvelé. Tous sont des centres de proximité, de quartier, situés sur de grands axes de communication, près de la gare, de la principale ligne de tram, aux grands carrefours.
Ouf!
"A Genève, nous disposons, dans le secteur public et privé d'un nombre important de places en programmes méthadone, en prise en charge psychothérapique,et en sevrage. Nous sommes même en train de "saturer" le marché, si l'on peut dire, ce qui est très satisfaisant
", conclue Jean-Jacques Deglon. Mais, tout le monde a eu chaud, en Suisse, lorsque le mouvement "Jeunesse sans drogue" a imposé en septembre dernier une "votation" destinée à remettre radicalement en cause les trois premiers des "4 piliers" de la politique du gouvernement fédéral (prévention, aide à la survie par la réduction des risques, soins, représsion). Le peuple suisse aurait pu décider de rejeter à la rue 15000 patients recevant de la méthadone dans la Confédération. Il en a décidé massivement tout autrement. "On a souvent tort de mal préjuger de l'esprit citoyen des électeurs. Ils comprennent souvent mieux que bien des idéologues mal intentionnés..." constate Jean-Jacques Deglon.
Fondation Phénix:
100, Route de Chêne.
Case Postale 215
1224-Chêne-Bougeries.
Tel: 00 22 349 40 40LES MOYENS EN ARGENT ET EN PERSONNELS
La Fondation Phenix dont le budget annuel tourne autour de 3.500 000 FS (soit 14 Millions de FF environ), vit en grosse partie des forfaits versés par l'assurance maladie (entre 25 FS et 170 FS par semaine et par patient, respectivement 100 et 680 FF environ), selon la difficulté des cas ("Le prix n'est vraiment pas rémunérateur pour les patients les plus lourds", dit Jean-Jacques). A ces fonds viennent s'ajouter les dons et legs, des subventions de l'Office d'Action Sociale de Berne, et 150 000 FS (600 000 FF), produits de la participation financière directe des patients : "Nous leur demandons de nous verser entre 40 FS ( 160FF), et 90 Fs (360 FF) par mois", confirme J.J. Deglon.
Pour réaliser ce travail, 3 médecins, 8 psychologues, 4 assistantes sociales, 6 infimiers, 9 assistantes médicales, 4 laborantines, 3 administratifs, 1 secrétaire de direction, des consultants ( 2 médecins, 1 psychologue, 1 informaticien) rémunérés à la prestation horaire.