![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Une des premières choses qui frappent un observateur français, cest le nombre de salles de consommation existant en Allemagne. On nen compte pas moins de 26, réparties dans 16 villes. Dans quel cadre fonctionnent-elles ?
La loi fédérale a été modifiée en 2002 pour donner une base légale à ces salles, qui existaient déjà pour certaines depuis les années 1990. Mais comme lAllemagne est un État fédéral, les Länder peuvent refuser cette mise en place. Cest notamment le cas de la Bavière, où des villes comme Munich souhaiteraient louverture de telles salles mais nen ont pas la possibilité.Y a-t-il toujours un débat sur leur utilité ?
Le débat a surtout eu lieu durant les années 1990. A lépoque, des programmes de distribution de seringues avaient été mis en place, mais les usagers les utilisaient dans les parcs alentours ou dans les toilettes publiques, dans de très mauvaises conditions dhygiène. Face à cet état de fait, les personnes travaillant dans ce champ cherchèrent à apporter des conditions plus sûres dinjection et des lieux pilotes furent ouverts, à Brème et à Francfort par exemple, même si ce nétait pas permis à lépoque. Ce fut le début des controverses politiques. Certains pensaient que louverture de tels lieux allait augmenter le nombre dusagers. Puis des villes comme Hanovre, Hambourg ou Francfort officialisèrent ces espaces, et le débat a fini par séteindre. Aujourdhui, ces salles sont complètement acceptées et font partie du système de santé publique.Quels sont les prérequis à louverture de telles salles ?
Ils sont nombreux : il faut tout dabord que la ville concernée possède un large éventail de services aux usagers de drogues ; nous pensons en effet que ces salles ne doivent pas être la seule option pour les usagers, des programmes de substitution ou de sevrage doivent également leur être proposés.
Les salles doivent respecter des règles dhygiène strictes, proposer des ateliers de bonnes pratiques en cas doverdose, du conseil. Elles doivent aussi travailler en coopération avec la police et réaliser un travail dinformation du voisinage. Sil y a des plaintes, les voisins doivent pouvoir venir les exposer aux responsables. Autre règle importante, le "deal" est interdit. Si les responsables des salles sont témoins de trafics, ils en avertissent la police.
Cest grâce au respect de ces conditions que tous ces lieux ont été bien acceptés. Au moment de louverture dune salle, il y a bien sûr des plaintes, mais les opposants se rendent compte après quelques mois que ces endroits sont utiles pour les usagers mais aussi pour le voisinage.La situation est-elle différente dans lancienne Allemagne de lEst ?
Il nexiste pas de salles de consommation dans les villes de lex-RDA. Le nombre dUDI y est moins important, à lexception de villes comme Halle ou Leipzig. Or le Land de Saxe, dont dépendent ces deux villes, nautorise pas ce genre de lieux. De plus, il nexiste pas de "scène ouverte" comme il y en avait auparavant à lOuest.Lexistence de ces salles pourrait-elle être remise en cause ?
Les autorités des villes ayant ouvert de tels lieux se souviennent de la situation antérieure et nont aucune envie de la revivre. En revanche, la situation pourrait évoluer avec la mise en place de nouveaux projets comme la prescription dhéroïne médicalisée. Si ce programme était lancé, le nombre dusagers fréquentant les salles de consommation pourrait diminuer, mais ceci nest aujourdhui quune hypothèse.Justement, où en est le projet allemand de dispensation dhéroïne ?
La phase expérimentale est bouclée. Les résultats sont clairs, cest un succès. Nous voulions savoir si ce traitement avait un meilleur impact que la méthadone. Nous lavons donc expérimenté dans deux groupes : dune part des usagers en échec avec la méthadone, et dautre part des usagers nayant jamais été touchés par les programmes méthadone. Et lacceptation de lhéroïne (diamorphine) est significativement meilleure que celle de la méthadone dans les deux groupes. Après deux ans de ce traitement de substitution, la santé mentale et physique des participants sest améliorée, lusage de cocaïne a baissé, et le dosage quotidien dhéroïne est lui aussi descendu.
Nous en sommes maintenant au stade du débat politique. Une proposition de loi pour la mise en place dun tel programme a reçu le soutien de lEtat fédéral, mais les députés chrétiens-démocrates, qui détiennent la majorité, rejettent ce projet. En revanche, sociaux-démocrates, Verts, Rouges et libéraux sont pour. Et les villes concernées, alors même quelles sont pour la plupart gouvernées par la droite, se sont également déclarées favorables à ce projet.Quels sont les autres points marquants de votre politique de lutte contre les drogues ?
Le nombre dusagers dhéroïne est en baisse. En revanche, la consommation damphétamines progresse chez les jeunes. Mais notre politique nest pas limitée aux drogues illicites. Tabac et alcool sont deux grandes préoccupations.
Concernant le tabac, nous ne souhaitons pas une interdiction totale mais nous nous soucions avant tout du tabagisme passif (qui cause 3000 morts par an) et de la consommation chez les jeunes. Il y avait une augmentation ces dernières années du nombre de jeunes commençant très tôt à fumer, et nous avons lancé une campagne en leur direction, dont les premiers résultats commencent à se faire sentir. Ce qui est intéressant, cest que lon note un début de recul de la consommation de tabac, mais aussi de cannabis.
En revanche, le phénomène du "binge drinking", qui sest fortement développé dernièrement, est très alarmant : le nombre dentrées en cures de désintoxication chez les 15-20 ans est passé de 9000 à 19000. Le nombre de morts causées par une intoxication à lalcool a aussi augmenté, ainsi que les actes de violence associés à lalcool.
Autre problème important, le syndrome foetal, qui concerne 10000 naissances chaque année. Nous lançons une campagne pour que ce nombre décroisse à partir de lan prochain, mais nous sommes confrontés à un fort lobbying de lindustrie de lalcool. Les journaux et les télévisions privées, en particulier, sont fortement dépendants de leur publicité.Que peut vous apporter une conférence comme celle de lIHRA ?
Ces conférences permettent aux pays récemment confrontés à lusage de drogues déchanger et de tirer parti des expériences, en instituant ou en renforçant des partenariats avec les pays ayant une expertise reconnue dans ce domaine. Nous menons par exemple des projets de coopération avec lIran - beaucoup de médecins iraniens ont fait leurs études en Allemagne - ou lInde.
Une conférence comme celle-ci permet par ailleurs davoir des discussions de fond sur les programmes de RdR. En Allemagne, nous possédons une forte expérience mais il y a un déficit de débat. Et je crois que cest aussi le cas en France...