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Molécule aux effets comparables aux amphétamines, la BZP (ou 1-benzylpipérazine) n'a pas d'indication thérapeutique mais fait l'objet d'un usage récréatif, en particulier en Nouvelle-Zélande. Quasiment inconnue en France, elle va pourtant allonger prochainement la liste des substances interdites à la suite d'une décision de l'UE.
La BZP a récemment fait lobjet de lattention de lOEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies). Son rapport dévaluation des risques a déterminé le Conseil de lUE à définir cette substance comme nouvelle drogue de synthèse devant être soumise à des mesures de contrôle par chaque Etat membre. Cette décision aboutira à court terme au classement comme stupéfiant de la BZP en France.
Cette substance psychoactive est pourtant peu connue des professionnels du champ des addictions en France, où lusage récréatif de la BZP nest pas perceptible. En effet, jusquà 2005, date des dernières données disponibles, la BZP napparaît dans aucune des enquêtes de mesure de prévalence des usages de substances psychoactives menées en population générale.Une molécule issue de la recherche
La BZP appartient à la famille des pipérazines, vaste groupe dont un grand nombre de molécules sont exploitées dans un but thérapeutique ; un exemple bien connu du public est le sildenafil, principe actif du Viagra®. La BZP fait quant à elle partie dun petit groupe de pipérazines sans indication thérapeutique mais qui possèdent des propriétés psychoactives et font lobjet dun usage récréatif.
Synthétisée en 1944 comme agent antiparasitaire potentiel mais restée sans développement pharmaceutique, la BZP a par la suite montré des propriétés indiquant une activité antidépressive. Cette particularité a été explorée au début des années 1970. Un terme a été mis aux projets de commercialisation lorsque certaines études ont mis en évidence des effets stimulants analogues à ceux de lamphétamine.
Les effets stimulants de la BZP sont provoqués par une augmentation extracellulaire de dopamine au niveau cérébral, et en moindre proportion de sérotonine et de noradrénaline ; cette activité centrale est similaire à celle des amphétamines. Deux études menées chez lhomme montrent que les effets subjectifs de la BZP et de lamphétamine ne peuvent être distingués et que les deux substances ont également une grande proximité daction sur certaines fonctions périphériques comme laugmentation de la pression artérielle ou du rythme cardiaque. Toutefois, la dose de BZP nécessaire pour obtenir des effets identiques à une dose damphétamine est 10 fois plus importante.
Ces analogies, combinées à une appétence identique pour les deux substances chez danciens consommateurs de stimulants, ont conduit certains auteurs à prédire un potentiel dabus pour la BZP semblable à celui de lamphétamine. Deux études récentes chez lanimal semblent confirmer ces résultats. Toutefois, une enquête néo-zélandaise de 2006 nenregistre que sept personnes classées dépendantes sur un échantillon denviron 300 consommateurs de BZP au cours de lannée. Le responsable de létude présume que les usagers limitent leur consommation en raison de la pénibilité des effets secondaires fréquemment provoqués par ce produit1,2. Dans une analyse des mécanismes daction, un auteur avance que le développement dune dépendance à la BZP saccompagnerait dune tolérance au niveau cérébral mais pas au niveau périphérique ; ainsi une personne dépendante qui augmenterait la dose de BZP consommée pour surmonter cette tolérance centrale ressentirait des effets périphériques intolérables3.Pas détudes sur la toxicité
Aucune étude expérimentale na été menée sur la toxicité de la BZP et les seules informations disponibles proviennent de cas cliniques décrits dans la littérature. Si ces informations ne doivent pas être négligées, elles souffrent néanmoins de plusieurs limites.
En premier lieu, lusage de BZP étant relativement récent, aucune information sur sa toxicité à long terme nest disponible. Dautre part, il est difficile de mesurer à partir dobservations le rôle exact joué par la BZP alors quelle est souvent consommée dans un contexte favorisant lui-même certains des effets secondaires décrits. En effet, il apparaît difficile de démêler, dans un tableau de fatigue intense survenant après une consommation festive, la part liée aux effets de la BZP et celle provoquée par la production dun effort soutenu pour danser sur une période prolongée. De même, les interactions potentielles de la BZP avec dautres substances ont été peu explorées alors que des consommations associées dalcool voire dautres substances illicites sont très souvent rapportées.
Si aucun décès imputable à une intoxication à la BZP seule na été rapporté à ce jour, elle est citée pour trois cas dintoxication mortelle, lun en Suisse (2001) deux autres en Suède (1999-2002). Dans les trois cas, les personnes avaient consommé dautres substances psychoactives4. Seul le décès survenu en Suisse est détaillé : une jeune femme présentant une hyponatrémie sévère associée à un oedème cérébral après consommation de BZP et de MDMA. Un tel tableau clinique est décrit lors dintoxication grave par la MDMA, et le rôle joué par la BZP na pu être déterminé5.
Trois cas dintoxications mettant en jeu le pronostic vital sont également décrits dans la littérature néo-zélandaise. Les patients ont tous présenté des crises convulsives ; deux patients ont été admis en unité de soins intensifs alors que le troisième a développé une insuffisance rénale aiguë. Dans deux cas, des consommations associées sont rapportées ; aucun détail nest donné pour le troisième. Les personnes ont récupéré rapidement sans complication à long terme apparente6.Crises convulsives et autres effets indésirables
Deux de ces patients font partie des cas répertoriés entre avril et septembre 2005 par le Dr Gee du service des urgences dune agglomération néo-zélandaise, qui dénombre quatorze patients présentant ou rapportant des crises convulsives après consommation de BZP. Cette série de cas fait écho à ladmission pour des raisons identiques de sept personnes au cours de la même nuit dans un service durgences londonien7.
Les crises convulsives ne sont pas les seuls effets indésirables rapportés par le Dr Gee. Les 61 patients qui se sont présentés au cours des cinq mois pour une intoxication par la BZP ont majoritairement manifesté des symptômes mineurs tels que palpitation, vomissement, anxiété et agitation, parfois plus gênants comme insomnie, malaise, état confusionnel ou rétention urinaire. Ces symptômes sont apparus jusquà 24 heures après la consommation de BZP. La prise en charge de la plupart des patients sest limitée à une réassurance avec emploi de benzodiazépines dans quelques rares cas6.
Les mêmes effets indésirables sont rapportés par quelque 300 usagers dune enquête en population générale2. Certains symptômes sont très fréquemment cités (insomnies, perte dappétit, bouffées de chaleur, nausées, céphalées, sensation de déprime) et une personne sur sept considère que la consommation de produit contenant de la BZP a eu un effet nuisible sur sa santé. Toutefois, huit personnes ont eu recours à une prise en charge médicale, et une seule personne décrit la survenue de crises convulsives.
A côté des manifestations émotionnelles retrouvées, loccurrence dépisodes psychotiques liés à lusage de BZP a été envisagée, mais aucune relation formelle na pu être établie, bien quun cas clinique ait fait lobjet dune publication8.Lusage récréatif de BZP
La molécule, détournée du domaine de la recherche, est venue accroître léventail des drogues de synthèse à la fin de années 90. Les produits contenant de la BZP se présentent sous forme de comprimés ou de gélules, avec un dosage en principe actif compris entre 70 et 150 milligrammes, pour des effets qui apparaissent au bout de 2 heures et sinstallent pendant 6 à 8 heures. La BZP se consomme essentiellement par voie orale : irritante du fait de son alcalinité, son usage par inhalation ou injection savère douloureux et est particulièrement contre-indiqué car susceptible de provoquer des lésions.
Si la BZP est appréciée pour ses effets propres équivalents à ceux de lamphétamine, elle est aussi très souvent associée à la TFMPP (une autre pipérazine) pour reproduire des sensations proches de la MDMA. Comme les autres dérivés amphétaminiques, la BZP est consommée essentiellement dans les sphères des cultures dance ou rave. Ses usagers font valoir une consommation festive qui facilite les interactions sociales et les aide à rester éveillés sur de longues périodes9.
Les stratégies de diffusion de la BZP suivent deux logiques différentes selon les réseaux de distribution impliqués. Les revendeurs du marché clandestin semblent la proposer sous le terme générique decstasy, laissant croire quil sagit de MDMA. Au contraire, sur Internet et dans les "smart shop", boutiques spécialisées dans la vente de produits psychoactifs légaux, les produits contenant de la BZP sont présentés comme une alternative légale à lecstasy. Ils prennent dans ce cas-là les appellations de "legal party pills" ou de façon inappropriée de "herbal pills", cette dernière dénomination laissant entendre une origine végétale du produit qui est mensongère4.
Cette substance reste toutefois très confidentielle et, faute de consommateurs suffisamment nombreux, les niveaux dusage ne sont mesurables dans aucun pays européen. La circulation de BZP ny est visible quà travers un petit nombre de saisies (signalées par 13 pays, dont la France) et quelques détections dans les prélèvements de sang ou durine effectués au décours dinterpellations (Suède, Malte et Angleterre).Une situation particulière en Nouvelle-Zélande
En dehors du continent européen, la situation semble identique excepté en Nouvelle-Zélande où une étude de prévalence menée en population générale auprès denviron 2000 personnes âgées de 14 à 45 ans rapporte 20% dexpérimentateurs, 15% de consommateurs dans lannée et 5% au cours du mois. Cette situation est le fait de circonstances particulières : une disponibilité restreinte et des prix élevés pour les drogues "conventionnelles" comme la cocaïne et lecstasy ainsi que le développement récent dun marché légal de substances psychoactives.
En effet, depuis le début des années 2000, des sociétés néo-zélandaises commercialisent des "party pills", promouvant une démarche de réduction des risques et présentant leur produit comme des substituts sans risques aux drogues illicites. En 2005, la BZP a bénéficié de la création dune nouvelle classe de drogues appelée "drogue de synthèse non traditionnelle" (classe D) qui, sans interdire la vente et la consommation, impose certaines restrictions : interdiction à la vente aux mineurs, à la publicité ainsi quaux distributions promotionnelles gratuites.
Cependant, la popularité croissante de la BZP associée aux signalements anecdotiques deffets secondaires a poussé certains décideurs politiques et médecins à faire campagne pour son interdiction. Début 2006, le gouvernement néo-zélandais a réexaminé le statut de la BZP, qui devait être reclassée en fin dannée 2007 "substance à risque modéré sans usage thérapeutique" (classe C) et donc interdite à la vente. Les polémiques sont nombreuses concernant les conséquences de ce changement auprès des usagers : certains présagent un arrêt des consommations de substances psychoactives, dautres craignent le basculement vers des consommations illicites9.Vers un classement au niveau européen
Si la première notification reçue par lOEDT concernant la présence de BZP sur le territoire européen date de 1999, ce nest quau cours des deux dernières années quune publicité tapageuse dans la presse et sur Internet sest faite autour de cette substance, notamment en Angleterre et en Irlande où le produit sest vu proposé par les "smart shops" selon le modèle néo-zélandais. Une hypothèse envisagée pour éclaircir cet intérêt soudain des "smart shops" du Royaume-Uni pour la BZP est linterdiction en 2005 de la vente des champignons hallucinogènes qui alimentaient leur commerce.
Alertés sur ce nouvel engouement, lOEDT et Europol ont produit début 2007 un état des lieux de la situation en Europe. Ce rapport indique que la popularité des "party pills" laisse augurer une diffusion rapide et sinquiète des informations recueillies concernant la toxicité de la BZP. Il est également fait état déléments pouvant apparaître comme les prémices dorganisation de réseaux de distribution du marché clandestin4.
Après examen de ce document, le Conseil de lUE a demandé une évaluation des risques, "notamment pour la santé et pour la société". La procédure a abouti en juin 2007 à lélaboration dun rapport10. A sa lecture, le Conseil de lUE pointe "le manque de preuves scientifiques concluantes en ce qui concerne les risques globaux" mais décide néanmoins : "étant donné quelle présente des propriétés stimulantes et un risque pour la santé et quelle est dépourvue davantages médicaux, et pour respecter le principe de précaution, il convient de contrôler la BZP, tout en adaptant les mesures de contrôle aux risques relativement peu élevés que comporte cette substance". Cette décision du Conseil a été validée par la Commission et le Parlement européen, qui soulignent également les faiblesses du rapport dévaluation des risques.
Cette décision de classement au niveau européen pose question, car elle se fait en dépit du caractère parcellaire, reconnu officiellement, des informations disponibles. Elle nenvisage et nintègre pas la production de travaux de recherche complémentaires et le suivi de limpact des mesures quelle impose. Ceci va à lencontre du recours au principe de précaution, puisque la Commission indique : "Si une action est jugée nécessaire, les mesures basées sur le principe de précaution devraient notamment [...] être capables dattribuer la responsabilité de produire les preuves scientifiques nécessaires pour permettre une évaluation plus complète du risque." A ce titre, les évolutions à venir en Nouvelle-Zélande seront certainement très instructives puisque la BZP va être classée stupéfiant après sêtre affichée comme une alternative aux drogues illicites plus dangereuses.
Par ailleurs, cette décision simpose sans que ni la nécessité dune action rapide liée à un danger particulier, ni la coopération pour la lutte contre les réseaux de criminalité organisés puissent être évoquées. Lintervention communautaire pour la mise sous contrôle de substance en vertu du principe de précaution ne risque-t-elle pas de tendre à long terme vers luniformisation de lutilisation de loutil réglementaire en Europe, quitte à entrer en contradiction avec les choix propres à chaque Etat membre ?
La réglementation française
Interrogée en novembre 2006 à propos de la saisie de "party pills" commandées sur Internet, la Mildt précisait sur son forum : "Lesprit de la loi française nest pas de "réduire" la consommation de drogues illicites mais tout simplement de lempêcher dans labsolu au point de rendre impossible (ou très réglementée) même la vente de substances qui nen contiendraient pas mais qui auraient des propriétés comparables. En résumé, les pilules néo-zélandaises contenant du BZP ne sont pas des stupéfiants en France mais il est pourtant tout à fait interdit den vendre sous ce prétexte et pour "remplacer" des drogues illicites."
1 Vince G,
"Legally High".
New Scientist, 2006, 191 (2571), 40-45
2 Wilkins C, Girling M and Sweetsur P,
"The prevalence of use, dependancy end harms of legal "party pills" containing benzylpiperazine (BZP) and trifluorophenylpiperazine (TFMPP) in New Zealand".
J Substance Use, 2007, 12 (3), 213-227
3 BlilZ0r,
Neuropharmacology of BZP.
2003 : Erowid.org.
www.erowid.org/chemicals/bzp/bzp_article1.shtml
4 EMCDDA and Europol,
Europol-EMCDDA Joint Report on a new psychoactive substance : 1-benzylpiperazine (BZP).
2007, 31 p
http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/07/st06/st06645.en07.pdf
5 Inserm,
Ecstasy : des données biologiques t cliniques aux contextes dusage.
Coll. Expertise collective. 1998, Paris : Inserm. 345 p
6 Gee P et al.,
"Toxic effects of BZP-based herbal party pills in humans : a prospective study in Christchurch, New Zealand".
N Z Med J, 2005, 118 (1227), U1784
7 Wood DM et al.,
"Collapse, reported seizure--and an unexpected pill".
Lancet, 2007, 369 (9571), 1490
8 Austin H and Monasterio E,
"Acute psychosis following ingestion of "Rapture"".
Australas Psychiatry, 2004, 12 (4), 406-8
9 Sheridan J et al.,
"Legal piperazine-containing party pills--a new trend in substance misuse".
Drug Alcohol Rev, 2007, 26 (3), 335-43
10 EMCDDA,
Risk Assessment Report of a new psychoactive substance : 1-benzylpiperazine (BZP).
2007, 15 p.
http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/07/st10/st10458.en07.pdf