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Réduction des Risques
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SWAPS nº 48

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Droit(s)

Prisons et drogues : savoir et faire savoir pour agir

par Olivier Maguet, membre de l'association française de RdR

L'évolution des politiques internationales a créé, voici un siècle, le couple prison-drogue. En France, depuis cinq ans, l'inflation des textes de loi renforce ce couple, rendant nécessaire une stratégie de recherche d'envergure pour la santé de la population carcérale.

"Un prisonnier séropositif au VIH a menacé d’infecter des détenus et des surveillants si on ne lui accordait pas des privilèges en détention." Mauvais polar ? Canular douteux ? Anticipation pessimiste ? C’est en fait l’histoire, bien réelle, d’un détenu âgé de 24 ans, que l’on peut lire dans les pages du Hindustan Times daté du 30 juillet 2007. Il faut ajouter que cette histoire, qui paraît invraisemblable, voire choquante, se déroule dans la plus grande prison d’Asie : la prison de Tihar à New Delhi (Inde). Comment en est-on arrivé là ?

Naissance du "couple" prisons et drogues
Sur les prisons d’abord. Depuis le "grand enfermement" des pauvres et des "fous", qui plonge ses prémices dans la Renaissance et décrit par Bronislaw Geremek1, les prisons ne sont plus seulement une modalité de sanction d’un écart aux lois ou à la norme, mais avant tout la traduction d’un enjeu politique social plus large : quelle place accorde-t-on au "déviant" dans la société et comment le prend-on en charge ? Grâce aux progrès réalisés ultérieurement -au XIXe siècle notamment - dans les technologies d’emprisonnement2, la prison est devenue un outil de premier plan de toute politique pénale.
Sur les drogues ensuite. Au début du siècle dernier prend forme ce que l’on peut considérer comme la première véritable politique publique internationale (au sens d’un ensemble de décisions et de dispositifs institués par des Etats différents pour répondre à un objectif commun) : la politique de guerre à la drogue3. Il est intéressant de constater qu’elle émerge avant la première institution internationale, à savoir la Société des nations (SDN) créée au sortir de la Première guerre mondiale : la conférence de la Haye en 1912 "reconnaît comme universel le monopole des médecins et des pharmaciens sur la distribution au détail des drogues"4.
Cette politique conduit ainsi naturellement et progressivement à interdire l’usage privé de stupéfiants. Un système de sanctions se met alors en place, oscillant entre la délinquance et la criminalité ou bien la maladie. Qu’elle qu’en soit l’approche, une nouvelle figure du "déviant" est créée, internationalement partagée5, qui va conduire progressivement jusqu’à nos jours à une incarcération croissante des usagers de drogues.
Au début des années 1980, le sida vient révéler la dangerosité de cette approche pour les usagers de drogues par voie intraveineuse. Dans de nombreux pays, la prison devient alors un foyer de prédilection pour la concentration et la diffusion du VIH. On peut considérer que, à la sanction pénale, s’ajoute une sorte de "double peine" : la surexposition des usagers incarcérés à des risques vitaux pour leur santé. Dès lors, on peut lire différemment la dépêche du Hindustan Times de 2007...

Dix lois en cinq ans
Prisons et drogues forment un couple indissociable, en France, depuis le 31 décembre 1970, date du vote de la loi réprimant l’usage privé de stupéfiants illicites, loi toujours en vigueur.
En moins de cinq ans, d’août 2002 à mars 2007, pas moins de dix textes de lois ont été promulgués, créant de nouvelles infractions passibles de peines de prison ou étendant les peines de prison à des infractions existantes. Ces textes brassent un champ très large entraînant des possibilités démultipliées d’incarcération. De fait, de 2002 à 2007, la population carcérale est passée de plus de 55000 prisonniers à 61000.
"Nul de nous n’est sûr d’échapper à la prison. Aujourd’hui moins que jamais. Sur notre vie de tous les jours le quadrillage policier se resserre : dans la rue et sur les routes ; autour des étrangers et des jeunes ; le délit d’opinion est réapparu : les mesures antidrogues multiplient l’arbitraire. Nous sommes sous le signe de la "garde à vue". On nous dit que la justice est débordée. Nous le voyons bien. Mais si c’était la police qui l’avait débordée ? On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la population qui était suremprisonnée ?"
Quel est donc l’observateur avisé qui a écrit ces lignes caractérisant particulièrement bien la situation actuelle ? Il s’agit de Michel Foucault qui, accompagné de ses amis Jean-Michel Domenach et Pierre Vidal-Naquet, crée le 8 février 1971 le Groupe d’information sur les prisons (GIP). Ce texte est extrait du manifeste ronéotypé distribué à cette occasion6.

"Une région cachée"
Dans cet univers carcéral, les prisonniers ayant des problématiques addictives sont nombreux. En 1997 et en 2003, le ministère de la santé a décidé de mener une enquête sur les problèmes socio-sanitaires auxquels sont confrontés les personnes entrant en prison. Ce type d’enquête, dite "enquête santé entrants", est rendue possible par la loi de janvier 1994, qui a réorganisé le soin en prison. Depuis cette date, la médecine en prison est passée de l’autorité du ministère de la justice à une médecine se rapprochant du "droit commun", c’est-à-dire étant rattachée à un hôpital public de proximité et indépendante de l’administration pénitentiaire. La loi de janvier 1994 institue un entretien médical systématique à l’entrée en prison.
Que nous disent ces études ? Que plus du tiers des personnes entrant en prison ont de sérieuses problématiques d’addictions (produits stupéfiants illicites, alcool et tabac fortement consommés)7. C’est tout. Quid des consommations pendant l’incarcération ? Et on ne parle même pas des consommations de drogues initiées en prison, en raison même de l’effet anxiogène de prisons surpeuplées ou de la circulation de produits stupéfiants en prison...
Un autre observateur avisé pourrait nous dire : "Peu d’informations se publient sur les prisons ; c’est l’une des régions cachées de notre système social, l’une des cases noires de notre vie." Il se trouve qu’il s’agit à nouveau de Michel Foucault8 !
Décidément, depuis 1971, il semble que peu de choses ont avancé en France sur la connaissance de ce qui se passe en prison. Voilà bien l’enjeu aujourd’hui : de la même façon que les politiques de réduction des risques n’ont pas pénétré en prison comme elle se sont développées en milieu libre (lire l'article "Réduire les risques en prison, une question de santé publique... et de droit" dans ce numéro), l’information sur les problématiques liées à la question des drogues en prison reste dramatiquement limitée à quelques questions posées aux détenus à l’entrée en prison.

Savoir pour agir
Comment dès lors concevoir et construire une réponse sanitaire efficace aux problèmes posés par la consommation de drogue en prison et par la présence importante de consommateurs de drogues en prisons ? La vraie rupture, en la matière, serait d’avoir le courage d’envisager une stratégie de recherche et d’enquête d’envergure sur le sujet, autour de questions simples : en prison, qui consomme quoi et comment ? Pour quelles raisons ? Quelles sont les conséquences d’une telle consommation, à la fois pour la santé des détenus toxicomanes eux-mêmes, comme pour la santé de la population pénale dans son ensemble (autres détenus, professionnels du soin, personnels de l’administration pénitentiaire) ? Aucun document ne permet aujourd’hui de répondre à ces questions de manière sereine et complète.
Dès lors, inspirons-nous de la recommandation de notre observateur avisé, qui disait, il y a plus de trente-cinq ans : "Nous nous proposons de faire savoir ce qu’est la prison"9. Aujourd’hui, cela apparaît plus que jamais comme la condition indispensable à la mise en oeuvre de choix politiques sur la question des drogues en prison et sur celle des drogués en prison, qu’ils soient incarcérés pour des infractions à la législation sur les stupéfiants ou pas. En raison de la surreprésentation des problèmes liés aux drogues en prison par rapport au milieu libre, ces choix doivent reposer avant tout sur une approche socio-sanitaire qui a fait ses preuves depuis près de vingt ans : la réduction des risques (RdR).
Mais en raison d’une surpopulation carcérale et d’une utilisation massive de la prison pour tenter de réguler des problèmes sociaux définis comme une déviance à la norme, ces choix ne peuvent pas faire l’économie d’une réflexion sur la politique pénitentiaire (c’est-à-dire la place de la prison dans le dispositif de sanctions). Là réside certainement un des enjeux pour le mouvement de la RdR, comme l’a souligné la récente conférence de l’Association internationale de RdR10. A défaut, la dépêche glaçante de l’Hindustan Times pourrait passer du stade de l’anecdote exotique car lointaine à celui de noir précurseur de nos prisons.

Les dix lois
qui augmentent la population en prison (2002-2007)

30 août 2002 : loi d’orientation pour la sécurité intérieure
9 septembre 2002 : loi d’orientation et de programmation pour la justice
18 mars 2003 : loi pour la sécurité intérieure
12 juin 2003 : loi sur la violence routière
27 novembre 2003 : loi sur la maîtrise de l’immigration
9 mars 2004 : loi adaptant la justice aux évolutions de la criminalité
12 décembre 2005 : loi sur la récidive
24 janvier 2006 : loi sur le terrorisme
25 juillet 2006 : loi sur l’immigration et l’intégration
5 mars 2007 : loi sur la prévention de la délinquance

L’évolution de la population carcérale

2001        48600
2002        55400
2003        59200
2004        59200
2005        59500
2007        60698

Rappel : la capacité des prisons françaises est estimée à 50000 places.



1 La Potence ou la Pitié,
Gallimard, "Bibliothèque des Histoires".
2 Que décrit fort bien Michel Foucault dans Surveiller et Punir (Gallimard).
3 François-Xavier Dudouet,
"De la régulation à la répression des drogues. Une politique publique internationale",
Cahiers de la sécurité intérieure, 2003, 52, 89-112.
4 Ibidem, p. 96.
5 L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OCTRIS) et les conventions de Vienne sur les stupéfiants donnant la base juridique à la pénalisation de cette figure.
6 "Manifeste du GIP",
in Dits et Ecrits, tome 1 (1954-1975), n° 86, p. 1042, Gallimard,
coll. "Quarto", 2001.
7 Marie-Claude Mouquet et al.,
"La santé à l’entrée en prison : un cumul des facteurs de risques",
Etudes et Résultats, n° 4, janvier 1999, DREES, Ministère de la Santé,
et M.-C. Mouquet,
"La santé des personnes entrées en prison en 2003",
Etudes et Résultats, n° 386, mars 2005, DREES, Ministère de la Santé.
8 "Manifeste du GIP",
ibidem, p. 1043.
9 "Manifeste du GIP",
ibidem.
10 L’IHRA (International Harm Reduction Association) a tenu sa conférence annuelle à Varsovie au mois de mai.
Abstracts disponibles sur www.ihra.net.