![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Les données recueillies sur les usages de drogues à Paris en 2006 dans le cadre du dispositif Trend mettent en évidence une diversification des produits et des modes de consommation.
Pour la cinquième année consécutive, lObservatoire régional de santé dIle-de-France a assuré en 2006 la coordination du dispositif Trend (lire encadré) pour Paris, dont les principaux résultats font lobjet de cet article1. Lobjectif de létude étant principalement lidentification des nouvelles tendances, les lieux privilégiés pour lobservation et le recueil des données sont ceux considérés comme des lieux "innovants" en matière de consommations de nouveaux produits, de modes dadministration des produits et/ou de contextes de consommation. Les résultats obtenus ne peuvent donc en aucun cas être généralisables à lensemble des usagers.
Espace urbain : désinsertion et polyconsommation
Les usagers interrogés des structures parisiennes de première ligne (Prelud), très majoritairement masculins, vivent dans des conditions dextrême précarité (34% disent navoir aucune ressource et 45% citent le revenu minimum dinsertion ou une allocation adulte handicapé). Leurs conditions de logement expriment aussi une grande désinsertion (un usager sur trois a indiqué être sans domicile fixe). Les niveaux de consommation de produits psychotropes sont très élevés. Au cours du dernier mois, si on se réfère aux cinq produits les plus fréquemment cités, 99% des usagers ont consommé du tabac, 74% du cannabis, 68% de lalcool, 38% de la buprénorphine haut dosage (détournée ou non) et 32% de la cocaïne (principalement sous forme de crack). Les consommations associant différents produits sont fréquentes.
Les pratiques de partage du matériel dinjection restent encore fréquentes et on constate des prévalences élevées dinfections. En effet, parmi les usagers interrogés des structures de première ligne (enquête Prelud), 66% ont déclaré avoir déjà utilisé la voie injectable au cours de leur vie et parmi ces usagers, 69% lont utilisée au cours du dernier mois. Les déclarations montrent que les pratiques de partage ne sont pas rares parmi les usagers injecteurs : au cours du dernier mois, 44% des usagers injecteurs ont eu au moins une pratique de partage (seringue, produit, eau de rinçage, cuillère, coton et/ou filtre).
Ces pratiques de partage conduisent à des prévalences très élevées du VHC et, dans une moindre mesure, du VIH parmi les usagers, notamment ceux qui ont utilisé la voie injectable, et qui lont utilisée durablement. Parmi lensemble des usagers qui ont déjà fait un test, 10% sont séropositifs au VIH (15% chez les injecteurs) et 34% au VHC (46% chez les injecteurs). Si les plus jeunes sont moins nombreux à être séropositifs au VIH, en revanche, pour le VHC, cette moindre proportion nest pas retrouvée de façon significative.
On observe de plus une plus grande diversité des produits consommés parmi les usagers des structures de première ligne ayant fréquenté les espaces festifs techno. Ainsi, parmi les usagers des structures de première ligne participant à lenquête Prelud, 27% ont déclaré avoir été au cours de leur vie "au moins dix fois dans les fêtes techno de type free-party, technivals, raves, etc.". Comparés aux autres usagers des structures, ces usagers ayant fréquenté ou fréquentant les espaces festifs techno présentent comme spécificité, sur le plan des consommations, une plus grande diversité tant des produits consommés que des modes dadministration. Ils sont par exemple 87% à indiquer avoir déjà consommé de lhéroïne contre 63% des autres usagers, et pour le LSD, les proportions sont respectivement de 63% et 23% (voir ci-dessous). Dautre part, si ces usagers utilisent plus fréquemment la voie injectable que les autres usagers, ils sont également plus nombreux à déclarer dautres modes dadministration (sniff ou "fumette").
Mode de consommation et produits consommés
au cours de la vie chez les usagers des structures
de première ligne selon leur fréquentation de
lespace festif au cours de la vie*
pourcentage dusagers
a fréquenté
les espaces
festifs technona jamais
fréquenté
les espaces
festifs technoa déjà utilisé...
la voie injectable
le sniff
la "fumette"a déjà consommé...
cannabis
héroïne
buprénorphine haut dosage
cocaïne / crack
Rohypnol®
méthadone
Skénan®, Moscontin®
autres benzodiazépines
ecstasy
champignons hallucinogènes
LSD
amphétamines
poppers
codéine
Artane®
kétamine
solvants
66
84
66
92
87
84
84
39
63
60
55
82
66
63
60
47
34
26
47
29
56
56
42
92
63
56
56
44
35
34
36
17
23
23
19
23
25
14
5
12* Enquête Prelud, site de Paris : Aides, Beaurepaire, Nova Dona, Accueil Ego, Step
Espaces festifs : le retour des free parties
Les observations dans les espaces festifs permettent de dresser, schématiquement, quelques caractéristiques des consommations de produits qui peuvent être associées aux différentes cultures musicales. Ainsi, les personnes fréquentant régulièrement le milieu hip hop déclarent principalement consommer du cannabis et des alcools forts. Dans le milieu reggae, le cannabis constitue un produit culturel de référence. La consommation dalcool (bière) est courante mais, la plupart du temps, ne viserait pas lébriété. Le milieu reggae est sans doute celui où la perméabilité avec les autres milieux est la plus importante. Dans le milieu rock, lalcool, notamment la bière, est le produit de référence, souvent associé à la "cuite". La consommation de cannabis est plus rare que dans dautres milieux festifs. Dans le milieu techno, la consommation decstasy et de cocaïne est plus systématique, associée à celle dalcool et de cannabis, et une proportion importante des usagers interrogés fréquentant lespace techno ont indiqué ne pas envisager de fêtes sans drogue.
En 2006, il a été noté un "retour" des free parties (appelées aussi "barbecue techno") en Ile-de-France, qui avaient quasiment disparu depuis 2002, année du décret fixant les conditions des "rassemblements exclusivement festifs à caractère musical". Ces free parties sont assez nombreuses puisque, certains week-ends, il y en aurait plusieurs dans la région. Le nombre de participants se situerait autour dune centaine, voire parfois moins, et leur moyenne dâge serait plus élevée quauparavant (entre 22 et 30 ans). De nombreux observateurs notent une féminisation importante du public. Si des associations de réduction des risques sont parfois invitées, leur présence, à travers un stand de prévention, nest pas toujours souhaitée. Le risque de donner une visibilité à un événement clandestin est le principal argument. Il a aussi été rapporté par des observateurs que la présence dune association à caractère médical pourrait inciter certains participants, parmi les plus jeunes, à se livrer à des consommations excessives, sous prétexte quil y aurait des secours en cas de problème.Alcool, cannabis, ecstasy : les tendances récentes
Depuis plusieurs années, les observateurs du dispositif Trend signalent un accroissement des consommations dalcool dans lespace urbain parmi les usagers désinsérés ainsi que dans les espaces festifs. En 2006, cette tendance sest poursuivie, mais des évolutions semblent avoir été notées dans les espaces festifs. Dans les clubs, discothèques, free parties, la recherche dune forte et rapide ébriété liée à labus dalcools forts (appelée parfois binge drinking), potentialisée par du cannabis, devient de plus en plus fréquente, notamment chez les plus jeunes.
Cette alcoolisation importante, orientée vers une logique de "défonce" a également été notée par les fonctionnaires de police dans les soirées étudiantes organisées par les bureaux délèves avec des consommations importantes dalcool (notamment des mélanges "Premix"). Enfin, Les professionnels de santé réunis dans le cadre de Trend Paris ont également indiqué que de plus en plus de jeunes âgés de 18 à 25 ans recourent au système de soins en raison de problèmes dus à lalcool.
Pour ce qui est du cannabis, bien que globalement très disponible pour un produit illicite, il avait connu une période de pénurie à Paris en 2005 et vu sa disponibilité relativement fluctuante durant lannée 2006, avec des phases de pénurie entrecoupées de périodes de disponibilité "habituelle". Mais le fait le plus marquant concernant le cannabis aura été la diffusion, en France et en Europe, dherbe coupée avec du sable, du quartz alpha ou des microbilles de verre, conduisant la Direction générale de la santé, en mars 2007, à alerter sur les "risques sanitaires liés à une consommation dherbe de cannabis coupée avec des microbilles de verre". Le produit, fréquemment perçu par les usagers comme "naturel" et présentant peu de risques, susciterait désormais une certaine méfiance.
On constate également une limage de lecstasy en cachet moins favorable, mais une hausse de lintérêt pour lecstasy en poudre. En effet, si lecstasy reste un produit banalisé parmi les personnes fréquentant les espaces festifs, notamment ceux de musiques électroniques, lengouement pour cette drogue, en particulier pour sa forme en cachet, semble en baisse. De plus, bien que lecstasy soit toujours décrite par les observateurs comme étant "très disponible" dans les différents espaces festifs, il semblerait que sa disponibilité, sous forme de cachets, ait diminué en 2006, alors que celle de la poudre aurait été en augmentation. Cette tendance saccompagne dun accroissement probable de la consommation decstasy en poudre (au détriment de celle en cachet) et dune hausse de la visibilité de sa consommation en sniff.Lusage de la cocaïne se banalise
Selon différents observateurs, laccroissement de la consommation de cocaïne se poursuit, tant parmi des usagers à faible pouvoir dachat et en situation de précarité que parmi des usagers socialement insérés. Quels que soient les espaces dobservation (urbain ou festif), la cocaïne est décrite comme de plus en plus disponible et accessible même aux non-initiés. La "démocratisation" et la "banalisation" de lusage de la cocaïne constituent pour deux structures partenaires du dispositif Trend Paris lun des événements marquants de lannée 2006.
Alors quen 2005, toutes les observations parisiennes convergeaient pour indiquer un "retour de lhéroïne", le constat apparaît un peu plus contrasté en 2006. Ce "retour de lhéroïne" suggéré par les fonctionnaires de police en 2004 et 2005 na pas été retrouvé, selon eux, en 2006, puisque seules des "saisies isolées" ont été réalisées par la Brigade des stupéfiants de Paris. En revanche, lobservation de terrain a souligné durant toute lannée 2006 une hausse de la disponibilité de lhéroïne dans le nord-est parisien. Dautres observateurs signalent un accroissement de la diffusion de lhéroïne dans certains espaces festifs de type underground (free parties, teknivals).
Enfin, comme cela a été souligné dans les rapports Trend Paris 2004 et 2005, la disponibilité de Skénan® dans le trafic est à la hausse et cette tendance a semblé se poursuivre en 2006, augmentant laccessibilité au produit. Lenquête Prelud à Paris montre que 18% des usagers interrogés des structures de première ligne ont consommé du Skénan® au cours du dernier mois. Celui-ci constitue le médicament détourné le plus largement consommé par voie injectable (96% des consommations de Skénan®), avec des dommages sanitaires majeurs (surdoses, problèmes veineux et infectieux, atteintes artérielles, abcès, etc.).Une plus grande perméabilité
Lensemble des constats observés dans le cadre du dispositif Trend Paris montrent que les consommations et produits auparavant bien identifiés comme spécifiques de chacun des espaces ont eu tendance dannée en année à diffuser hors de leur espace dorigine en étant parfois appropriés de façon différente, notamment en ce qui concerne les représentations et les modes de consommation. Ainsi lhéroïne, très souvent observée chez les usagers de lespace urbain repérés dans le cadre de lenquête Prelud, serait désormais consommée par certains jeunes usagers (beaucoup plus jeunes que les usagers dhéroïne de lespace urbain) fréquentant les espaces festifs underground (teknivals, free parties) où le produit, utilisé à la suite de consommation de stimulants, bénéficierait dune image moins négative quauparavant.
A linverse, lecstasy, autrefois principalement consommé dans un cadre festif par les jeunes apparentés à la culture techno, serait plus disponible et consommée hors de ces espaces, soit dans des usages solitaires à domicile, soit parmi les enquêtés de Prelud très dépendants et polyconsommateurs qui ont aussi fréquenté les espaces festifs et seraient susceptibles de linjecter. De même, le crack, qui, il y a quelques années, était uniquement consommé par des usagers très désinsérés et disponible en France métropolitaine uniquement dans certains arrondissements parisiens, est aujourdhui observé dans lespace festif de type underground (free parties et teknivals). Appelé alors "free base", il nest pas toujours identifié par les "teuffeurs" comme étant un produit identique au crack, et, contrairement à ce dernier, bénéficie dune représentation plutôt positive.
Enfin, si les consommations de produits psychoactifs parmi les personnes fréquentant les espaces festifs underground ("teuffeurs" et "travellers") étaient jusquà présent, dans le cadre du dispositif Trend Paris, principalement documentées à partir de lobservation des usages dans lespace festif techno, de plus en plus dobservateurs de lespace urbain signalent lémergence de ces populations dans des structures de réduction des risques ou de soins non liées à lespace festif, mais aussi dans lespace de la ville (abords des gares, places dans certains quartiers, etc.).
Cette perméabilité plus grande entre les espaces, les usagers et les modes de consommation nécessite de renforcer ladaptation des dispositifs de prévention et de soins, afin quils puissent apporter des réponses appropriées permettant de prendre davantage en compte ces évolutions.
Les modalités
du dispositif TrendLa diversification des produits psychotropes et lapparition de nouvelles molécules de synthèse est particulièrement notable depuis les deux dernières décennies. De ce fait, de nombreux pays ont mis en place des systèmes dalerte sanitaire dont le but est de détecter le plus rapidement possible les nouvelles molécules, leurs impacts sur létat de santé, leurs modes de consommations, ainsi que le type dusagers de ces produits. Lobjectif principal de tels dispositifs est de pouvoir mettre en place aussi rapidement que possible des mesures dalerte, de réduction des risques et de prévention.
LObservatoire français des drogues et des toxicomanies a mis en place depuis 1999 un dispositif national intitulé Trend (Tendances récentes et nouvelles drogues) visant à repérer les nouvelles tendances des consommations de drogues dans sept villes en France (Bordeaux, Lille, Marseille, Metz, Paris, Rennes et Toulouse) et à identifier déventuels phénomènes émergents. La mise à disposition précoce de ces informations permet délaborer des réponses rapides, en termes de décisions publiques, dactivités ou de comportements.
Deux espaces détudes sont privilégiés : "lespace urbain" et "les espaces festifs". Lespace urbain concerne, pour lessentiel, des personnes rencontrées dans des structures accueillant les usagers de drogues (structures de première ligne et programmes déchange de seringues), dans des centres de soins spécialisés ainsi que dans des lieux "ouverts" tels que la rue et les squats. Les espaces festifs désignent les lieux dans lesquels se déroulent des événements festifs, que ceux-ci soient commerciaux (discothèques, clubs, bars, concerts, etc.) ou non (free parties, teknivals, etc.).
Outre la veille documentaire, le dispositif repose sur le recoupement dinformations collectées notamment par les méthodes suivantes :
- une observation de type ethnographique,
- un recueil quantitatif (enquête appelée Prelud) auprès des usagers et qualitatif auprès de structures de première ligne (Aides, Asud, Beaurepaire, Nova Dona, Sida paroles/Lapin Vert),
- la réunion de groupe de professionnels santé et de fonctionnaires de police.
1 Les résultats du dispositif Trend Paris 2006 sont téléchargeables sur le site de lORS :
www.ors-idf.org