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SWAPS nº 48

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Drogue et prise de risques sexuels

Les gays ont-ils un rapport spécifique aux drogues ?

par Gabriel Girard, David Monvoisin et Jean-Marie Le Gall, AIDES

Au-delà des données sur l'éventuelle influence de la consommation de produits psychoactifs sur les comportements de prévention, trois membres de l'association Aides se sont penchés sur la question de la drogue chez les gays. Pour eux, il s'agit avant tout d'un problème de santé globale.

Ces dernières années, les interrogations sur la permanence des nouvelles contaminations par relations homosexuelles ont été au coeur de nombreux rapports et articles (Enquête presse gay [EPG], Baromètre gay [BG])1. Bénéficiant d’un haut niveau d’information sur les risques et la prévention du sida, certains homosexuels continuent à déclarer un nombre important de relations anales non protégées avec des partenaires occasionnels. Il s’agit, pour les acteurs de la prévention, de mieux comprendre ce qui motive ou contraint la gestion de la prévention par les gays.
Parmi d’autres hypothèses explicatives, l’influence de la consommation de produits psychoactifs sur les comportements préventifs a été particulièrement soulignée dans des articles de la presse gay2 ou dans les publications scientifiques. Dans ce contexte, que savons-nous des consommations de produits chez les gays, en France ? Une première revue de littérature scientifique illustre tout d’abord le manque de données quantitatives à ce sujet dans les enquêtes de référence avant celles présentées l'article "Drogue et prise de risques sexuels Les données de l’ Enquête presse gay" dans ce numéro de Swaps. Ces dernières années, ni les précédents rapports de l’EPG, ni ceux du BG ne donnaient d’indications précises sur le type de consommation, ni sur l’impact en termes de prévention. La seule enquête spécifique était celle menée par le Kiosque Info Sida en 2004, sur le lien entre consommation de produit et prise de risques sexuels3. Nous reviendrons sur ses résultats.
On peut cependant s’interroger sur la manière dont la question de la consommation de produits est traitée, en associant drogue et risque du sida. Les gays ont-ils un rapport spécifique aux drogues ?

L’absence d’un discours partagé
Lorsqu’on se penche sur la question de la consommation de produits, il apparaît assez vite que la communauté gay n’a pas de discours commun à ce sujet. Des habitudes de consommation existent, sont courantes et connues de tous, sans que l’on puisse parler d’une culture d’usage spécifique. Les établissements gays (bars, boites, "sex-clubs") font partie des principaux espaces de socialisation pour les homosexuels, et la consommation d’alcool y est un élément central de convivialité. Dans le milieu festif, la consommation récréative de drogues fait partie de l’environnement "banal" du clubber. Même si des brochures existent (celles du syndicat national des établissements gays (SNEG), notamment : Viagra + poppers, Et toi les drogues tu en sais quoi ?, Soldes monstres, GHB..., tout se passe comme si le discours sur les drogues n’existait que dans des campagnes de santé publique.
L’alarmisme récent, centré, selon les articles, sur le crystal (lire encadré) ou sur d’autres produits (alcool, ecstasy…) ne permet pas d’envisager globalement la question. En focalisant l’attention sur un produit, nouveau (ou perçu comme tel) ou courant, et sur ses effets négatifs sur la prévention du sida, les observateurs de la vie gay confondent le produit et son usage. Par glissement, les produits sont souvent associés mécaniquement au risque sida. Pourtant, vingt années d’expérience avec les usagers de drogues ont montré que ce qui pose problème, ce n’est pas seulement le produit consommé, mais surtout le contexte et le type d’usage qui en est fait !
Dans la littérature scientifique internationale, la discussion sur l’impact des produits sur les comportements sexuels est loin d’être tranchée. Comme le rappelle une étude publiée dans AIDS en janvier 2007, "bien qu’il soit possible que l’usage de produits illicites ait un effet direct sur les prises de risque sexuelles, (...) les recherches récentes indiquent que la relation entre usage de drogue et comportement à risque est sans doute beaucoup plus complexe"4.
Cet article australien sur la consommation de produits parmi un échantillon de gays séropositifs insiste sur la prise en compte du contexte d’usage et du profil des usagers. Il apparaît que l’usage de produit est lié à l’âge (jeunes), à la fréquentation de soirées festives, et à la participation à une culture sexuelle spécifique (SM, hard...). Selon les chercheurs australiens, plutôt que de focaliser sur une causalité, il semblerait plus intéressant de s’intéresser au contexte d’usage et d’affiner les profils spécifiques des gays qui utilisent les produits. Au-delà des effets désinhibiteurs (réels ou supposés) du produit consommé, il importerait donc de se pencher sur le profil des gays qui les utilisent, et sur le contexte d’usage.

Ce que les gays consomment
En France, l’enquête du Kiosque a été menée en 2004 dans 43 établissements gays parisiens. Parmi les 14000 questionnaires distribués, 2860 se sont avérés exploitables5. Au vu de la structure de l’échantillon (très majoritairement masculin, de moins de 35 ans) et du lieu de recrutement (établissements gays), la consommation de produit par les gays ne se distingue pas de la population générale. Que l’on considère l’alcool (principal produit consommé) ou les autres produits (cannabis, héroïne, drogues de synthèse), seul le poppers se distingue, confirmant son lien avec une culture sexuelle gay. En termes de déclarations, les produits consommés en association avec l’alcool sont : 1. tabac (28%), 2. cannabis (19%), 3. poppers (17%), 4. cocaïne (11%), 5. ecstasy (10%), 6. médicaments (8%), 7. kétamine (3%), 8. GHB (2%), 9. héroïne (1%). Les auteurs soulignent la difficulté à analyser les variations de fréquence d’usage avec la population générale, les données n’étant pas comparables.
L’enquête suggère l’absence de lien direct entre consommation de produit et prise de risques sexuels. Selon les auteurs, "pour les prises de risque sous effet d’un produit psychoactif, on découvre des taux inférieurs à ceux estimés par les autres études qui prennent en compte la prise de risque sans rajouter la notion de prise de produit".
A l’étranger, les enquêtes font ressortir les mêmes types de produits. L’enquête menée par Dialogai en Suisse sur la santé des gays fait aussi largement ressortir l’alcool, le tabac, le cannabis et le poppers, puis les autres produits (cocaïne, stimulants, hallucinogènes)6. L’intérêt de ces données étant la dimension comparative : les hommes gays ont plus souvent expérimenté ces produits que la population générale des hommes suisses. Les enquêteurs s’interrogent sur ces résultats : si cette consommation supérieure est liée à un usage festif et "pour le plaisir", ces chiffres peuvent être interprétés comme "la démonstration d’une maîtrise "exemplaire"" des effets des produits. Mais si cette consommation sert à fuir une situation de stress, "c’est une toute autre histoire"...

Un problème de santé global
Notre question de départ était : les gays ont-ils un rapport spécifique aux drogues ?
Dans les actions de prévention, le produit apparaît comme un facteur associé, ou déclenchant une prise de risque plus ou moins consciente. Dans ce cas, ce qui pose problème, ce n’est pas tant le produit et ses effets (supposés ou attendus), mais le fait que ces prises de risque aient lieu dans une population où la prévalence est si importante. Il serait nécessaire de mener des enquêtes plus fines, plus régulières, en explorant le contexte et les habitudes de consommation. Ces résultats seraient essentiels pour éviter les emballements médiatiques, pour proposer un discours plus constructif sur les drogues et adapter les actions de prévention.
En conclusion, on peut sans doute avancer que s’il y a problème autour des drogues chez les gays, c’est sans doute un problème de santé globale et une difficulté à en parler. Les enquêtes de nos amis de Dialogai nous ont montré à quel point les gays ont une moins bonne santé physique et psychique que les hommes hétéros : plus de dépressions, plus de consommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs... L’homophobie intériorisée produit des effets extrêmement négatifs sur la santé des gays. On peut penser que sur un terrain "favorable" comme celui-là, n’importe quelle drogue ajoutée pourra être associée à une difficulté supplémentaire.

Les gays et le "crystal"
Le "crystal" - encore appelé "ice" ou métamphétamine (par son appellation chimique) - occupe une place un peu particulière dans la panoplie des produits psychoactifs susceptibles d’être associés au mode de vie et à la sexualité des gays, essentiellement dans la société nord-américaine. Cette substance n’est pas nouvelle sur le marché des drogues, mais les gays nord-américains semblent avoir dix fois plus de risque d’usage que la population générale, et cet usage est corrélé avec une activité sexuelle. Dans ce cadre d’usage, certaines études indiquent une association entre usage et prise de risque, chez des hommes séropositifs ou séronégatifs.

Pour en savoir plus :
Colfax G, Shoptaw S,
"The methamphetamine epidemic : implications for HIV prevention and treatment",
Curr HIV/AIDS Rep, 2005
Colfax G, Vittinghoff E, Husnik MJ et al.,
"Substance use and sexual risk : a participant-and episode-level analysis among a cohort of men who have sex with men",
Am J Epidemiol, 2004, 159, 1002-12



1 Velter A et al.
Rapport Baromètre gay
INVS, novembre 2005
Premiers résultats de l’enquête presse gay
INVS, ANRS, juin 2005
2 Lestrade D, De Alberti
"Drogue, alerte au crystal"
Têtu, n°95, déc. 2004, 110-116
3 Etat de la consommation de produits addictifs en milieu festif gay et lesbien
Enquête Le Kiosque, 2005
4 Prestage G et al.
"Use of illicit drugs among gay men living with HIV in Sydney"
AIDS, 2007, 21, Suppl 1, 49-55
5 Etat de la consommation de produits addictifs en milieu festif gay et lesbien
Enquête Le Kiosque, 2005
6 Projet Santé gaie, les premiers résultats de l’enquête sur la santé des hommes gais de Genève
Dialogai, 2004