![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Au-delà des données sur l'éventuelle influence de la consommation de produits psychoactifs sur les comportements de prévention, trois membres de l'association Aides se sont penchés sur la question de la drogue chez les gays. Pour eux, il s'agit avant tout d'un problème de santé globale.
Ces dernières années, les interrogations sur la permanence des nouvelles contaminations par relations homosexuelles ont été au coeur de nombreux rapports et articles (Enquête presse gay [EPG], Baromètre gay [BG])1. Bénéficiant dun haut niveau dinformation sur les risques et la prévention du sida, certains homosexuels continuent à déclarer un nombre important de relations anales non protégées avec des partenaires occasionnels. Il sagit, pour les acteurs de la prévention, de mieux comprendre ce qui motive ou contraint la gestion de la prévention par les gays.
Parmi dautres hypothèses explicatives, linfluence de la consommation de produits psychoactifs sur les comportements préventifs a été particulièrement soulignée dans des articles de la presse gay2 ou dans les publications scientifiques. Dans ce contexte, que savons-nous des consommations de produits chez les gays, en France ? Une première revue de littérature scientifique illustre tout dabord le manque de données quantitatives à ce sujet dans les enquêtes de référence avant celles présentées l'article "Drogue et prise de risques sexuels Les données de l Enquête presse gay" dans ce numéro de Swaps. Ces dernières années, ni les précédents rapports de lEPG, ni ceux du BG ne donnaient dindications précises sur le type de consommation, ni sur limpact en termes de prévention. La seule enquête spécifique était celle menée par le Kiosque Info Sida en 2004, sur le lien entre consommation de produit et prise de risques sexuels3. Nous reviendrons sur ses résultats.
On peut cependant sinterroger sur la manière dont la question de la consommation de produits est traitée, en associant drogue et risque du sida. Les gays ont-ils un rapport spécifique aux drogues ?Labsence dun discours partagé
Lorsquon se penche sur la question de la consommation de produits, il apparaît assez vite que la communauté gay na pas de discours commun à ce sujet. Des habitudes de consommation existent, sont courantes et connues de tous, sans que lon puisse parler dune culture dusage spécifique. Les établissements gays (bars, boites, "sex-clubs") font partie des principaux espaces de socialisation pour les homosexuels, et la consommation dalcool y est un élément central de convivialité. Dans le milieu festif, la consommation récréative de drogues fait partie de lenvironnement "banal" du clubber. Même si des brochures existent (celles du syndicat national des établissements gays (SNEG), notamment : Viagra + poppers, Et toi les drogues tu en sais quoi ?, Soldes monstres, GHB..., tout se passe comme si le discours sur les drogues nexistait que dans des campagnes de santé publique.
Lalarmisme récent, centré, selon les articles, sur le crystal (lire encadré) ou sur dautres produits (alcool, ecstasy ) ne permet pas denvisager globalement la question. En focalisant lattention sur un produit, nouveau (ou perçu comme tel) ou courant, et sur ses effets négatifs sur la prévention du sida, les observateurs de la vie gay confondent le produit et son usage. Par glissement, les produits sont souvent associés mécaniquement au risque sida. Pourtant, vingt années dexpérience avec les usagers de drogues ont montré que ce qui pose problème, ce nest pas seulement le produit consommé, mais surtout le contexte et le type dusage qui en est fait !
Dans la littérature scientifique internationale, la discussion sur limpact des produits sur les comportements sexuels est loin dêtre tranchée. Comme le rappelle une étude publiée dans AIDS en janvier 2007, "bien quil soit possible que lusage de produits illicites ait un effet direct sur les prises de risque sexuelles, (...) les recherches récentes indiquent que la relation entre usage de drogue et comportement à risque est sans doute beaucoup plus complexe"4.
Cet article australien sur la consommation de produits parmi un échantillon de gays séropositifs insiste sur la prise en compte du contexte dusage et du profil des usagers. Il apparaît que lusage de produit est lié à lâge (jeunes), à la fréquentation de soirées festives, et à la participation à une culture sexuelle spécifique (SM, hard...). Selon les chercheurs australiens, plutôt que de focaliser sur une causalité, il semblerait plus intéressant de sintéresser au contexte dusage et daffiner les profils spécifiques des gays qui utilisent les produits. Au-delà des effets désinhibiteurs (réels ou supposés) du produit consommé, il importerait donc de se pencher sur le profil des gays qui les utilisent, et sur le contexte dusage.Ce que les gays consomment
En France, lenquête du Kiosque a été menée en 2004 dans 43 établissements gays parisiens. Parmi les 14000 questionnaires distribués, 2860 se sont avérés exploitables5. Au vu de la structure de léchantillon (très majoritairement masculin, de moins de 35 ans) et du lieu de recrutement (établissements gays), la consommation de produit par les gays ne se distingue pas de la population générale. Que lon considère lalcool (principal produit consommé) ou les autres produits (cannabis, héroïne, drogues de synthèse), seul le poppers se distingue, confirmant son lien avec une culture sexuelle gay. En termes de déclarations, les produits consommés en association avec lalcool sont : 1. tabac (28%), 2. cannabis (19%), 3. poppers (17%), 4. cocaïne (11%), 5. ecstasy (10%), 6. médicaments (8%), 7. kétamine (3%), 8. GHB (2%), 9. héroïne (1%). Les auteurs soulignent la difficulté à analyser les variations de fréquence dusage avec la population générale, les données nétant pas comparables.
Lenquête suggère labsence de lien direct entre consommation de produit et prise de risques sexuels. Selon les auteurs, "pour les prises de risque sous effet dun produit psychoactif, on découvre des taux inférieurs à ceux estimés par les autres études qui prennent en compte la prise de risque sans rajouter la notion de prise de produit".
A létranger, les enquêtes font ressortir les mêmes types de produits. Lenquête menée par Dialogai en Suisse sur la santé des gays fait aussi largement ressortir lalcool, le tabac, le cannabis et le poppers, puis les autres produits (cocaïne, stimulants, hallucinogènes)6. Lintérêt de ces données étant la dimension comparative : les hommes gays ont plus souvent expérimenté ces produits que la population générale des hommes suisses. Les enquêteurs sinterrogent sur ces résultats : si cette consommation supérieure est liée à un usage festif et "pour le plaisir", ces chiffres peuvent être interprétés comme "la démonstration dune maîtrise "exemplaire"" des effets des produits. Mais si cette consommation sert à fuir une situation de stress, "cest une toute autre histoire"...Un problème de santé global
Notre question de départ était : les gays ont-ils un rapport spécifique aux drogues ?
Dans les actions de prévention, le produit apparaît comme un facteur associé, ou déclenchant une prise de risque plus ou moins consciente. Dans ce cas, ce qui pose problème, ce nest pas tant le produit et ses effets (supposés ou attendus), mais le fait que ces prises de risque aient lieu dans une population où la prévalence est si importante. Il serait nécessaire de mener des enquêtes plus fines, plus régulières, en explorant le contexte et les habitudes de consommation. Ces résultats seraient essentiels pour éviter les emballements médiatiques, pour proposer un discours plus constructif sur les drogues et adapter les actions de prévention.
En conclusion, on peut sans doute avancer que sil y a problème autour des drogues chez les gays, cest sans doute un problème de santé globale et une difficulté à en parler. Les enquêtes de nos amis de Dialogai nous ont montré à quel point les gays ont une moins bonne santé physique et psychique que les hommes hétéros : plus de dépressions, plus de consommation danxiolytiques et dantidépresseurs... Lhomophobie intériorisée produit des effets extrêmement négatifs sur la santé des gays. On peut penser que sur un terrain "favorable" comme celui-là, nimporte quelle drogue ajoutée pourra être associée à une difficulté supplémentaire.
Les gays et le "crystal"
Le "crystal" - encore appelé "ice" ou métamphétamine (par son appellation chimique) - occupe une place un peu particulière dans la panoplie des produits psychoactifs susceptibles dêtre associés au mode de vie et à la sexualité des gays, essentiellement dans la société nord-américaine. Cette substance nest pas nouvelle sur le marché des drogues, mais les gays nord-américains semblent avoir dix fois plus de risque dusage que la population générale, et cet usage est corrélé avec une activité sexuelle. Dans ce cadre dusage, certaines études indiquent une association entre usage et prise de risque, chez des hommes séropositifs ou séronégatifs.Pour en savoir plus :
Colfax G, Shoptaw S,
"The methamphetamine epidemic : implications for HIV prevention and treatment",
Curr HIV/AIDS Rep, 2005
Colfax G, Vittinghoff E, Husnik MJ et al.,
"Substance use and sexual risk : a participant-and episode-level analysis among a cohort of men who have sex with men",
Am J Epidemiol, 2004, 159, 1002-12
1 Velter A et al.
Rapport Baromètre gay
INVS, novembre 2005
Premiers résultats de lenquête presse gay
INVS, ANRS, juin 2005
2 Lestrade D, De Alberti
"Drogue, alerte au crystal"
Têtu, n°95, déc. 2004, 110-116
3 Etat de la consommation de produits addictifs en milieu festif gay et lesbien
Enquête Le Kiosque, 2005
4 Prestage G et al.
"Use of illicit drugs among gay men living with HIV in Sydney"
AIDS, 2007, 21, Suppl 1, 49-55
5 Etat de la consommation de produits addictifs en milieu festif gay et lesbien
Enquête Le Kiosque, 2005
6 Projet Santé gaie, les premiers résultats de lenquête sur la santé des hommes gais de Genève
Dialogai, 2004