![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Le docteur Patrick de la Selle avait été récemment condamné par le Conseil régional de l'Ordre des médecins à un an de suspension (dont six mois avec sursis) pour détention de méthadone. Le résultat de l'appel soutenu le 6 juin devant l'instance nationale du Conseil de l'Ordre vient de tomber : relaxe totale ! Il faut dire que les arguments du Conseil départemental de l'Ordre et de l'avis de l'Inspection régionale de la pharmacie1 étaient quelque peu "stupéfiants"... Décryptage.
De quoi sagissait-il ?
"Le docteur de la Selle est entendu à la suite de la présence dun stock conséquent de méthadone au sein de son cabinet médical. Ce cabinet a été cambriolé dans la nuit du 2 au 3 octobre 2004, deux jours après le départ du docteur de la Selle en vacances. Ses associés (...) lont informé par téléphone de ce cambriolage et lui auraient dit avoir découvert dans ses affaires un carton comportant 17 flacons de méthadone (11 à 40 mg, 3 à 30 mg, 2 à 5 mg et 1 à 20 mg) provenant du grossiste CERP et identifié au nom du docteur de la Selle. Ce dernier nous affirme avoir répondu par téléphone à son associée que ce carton était destiné à être rendu à une pharmacie. Ces flacons de méthadone lui avaient été remis par une patiente qui avait delle-même diminué ses doses et qui ne voulait pas les conserver à son domicile par crainte quils ne soient utilisés par ses enfants. Quatre jours après, une des associées du docteur de la Selle a porté ce carton de méthadone au Conseil de lOrdre qui a informé le procureur de la République et linspection régionale de la pharmacie."Il lui était reproché
de posséder des produits stupéfiants
"Il apparaît (...) que le docteur de la Selle détenait à son cabinet un médicament classé comme stupéfiant en quantité supérieure à la dose toxique dans des conditions non réglementaires."
Tout praticien, libéral ou en CSST, sest trouvé dans la situation où un patient a ramené son traitement pour ne pas se trouver dans une situation "à risque". Nous avons alors tous "détenu illégalement" des stupéfiants. A-t-on voulu faire passer pour un dangereux "dealer" le docteur de la Selle pour la possession de 675 mg de méthadone, le maximum autorisé étant 600 mg... ?Il lui était reproché
de prescrire une quantité journalière importante
Les "conditions de mise en oeuvre du traitement (...) napparaissent pas conformes aux conditions fixées par lAMM et à celles recommandées par la conférence de consensus éditée par la haute autorité de santé publique".
LAMM de la méthadone nest pas de 60 à 100 mg, il sagit seulement de posologies moyennes. Des posologies supérieures sont fréquentes, le traitement étant le résultat dune alliance thérapeutique entre le médecin et son patient. Ces posologies supérieures à 100 mg ne sont en aucun cas en contradiction avec lAMM ou avec les recommandations de la conférence de consensus de juin 2004.Il lui était reproché
de ne pas respecter un sevrage progressif par paliers de 5 à 10 mg
"Par ailleurs, la méthode de sevrage utilisée interpelle. Compte tenu des caractéristiques pharmacologiques du produit, la conférence de consensus, la circulaire du 30 janvier 2002 et lAMM recommandent un sevrage progressif par paliers au moins hebdomadaires de 5 à 10 mg. Dans le cas présent, la diminution sest effectuée par paliers de 15 jours et pour des doses au moins quatre fois supérieures."
A des posologies de 200 ou 300 mg, il nest pas opportun de parler de sevrage mais de maintenance avec adaptation thérapeutique. Par ailleurs, si une réduction de 5 à 10 mg à des posologies entre 60 et 100 mg représente 5% à 10% du traitement, ramenés à 200 ou 300 mg/j, ces paliers représentent 20, 25 ou 30 mg.Il lui était reproché
davoir prescrit des traitements de substitution par les sulfates de morphine et davoir été membre dun comité de soutien de professionnels dans ce sens
"Il a été également un membre actif du comité de soutien aux professionnels de santé montpelliérains mis en examen pour prescription de sulfate de morphine à des toxicomanes et a revendiqué avoir utilisé ce produit comme traitement de substitution.
On rappellera quune évaluation effectuée en septembre 2001 à la demande du directeur général de la santé par un groupe dexperts présidé par le professeur Montastruc avait conclu quau regard des connaissances scientifiques disponibles, le sulfate de morphine ne répondait pas aux critères modernes dun traitement de substitution, et quil nexistait pas darguments pour élaborer un dossier dAMM qui pourrait être acceptable et recevable par lAfssaps."
Nous avons tous prescrit des traitements de substitution par les sulfates de morphine à lépoque où les AMM pour des médicaments de substitution nexistaient pas, et cest pourquoi nous avons été nombreux à soutenir nos collègues de Montpellier, lesquels étaient confrontés à laccès restrictif de la méthadone des centres de soins spécialisés aux toxicomanes dans le département de lHérault.Que lui était-il reproché
quand, dans un même courrier, étaient mêlés mésusage de Subutex®, Rohypnol®, Moscontin® et Skénan® ?
"En 1997, ce département représentait à lui seul plus dun sixième de la consommation nationale de sulfate de morphine. Des médecins et pharmaciens ont été mis en examen sous les chefs de facilitation à autrui de lusage de stupéfiants, non respect des règles relatives à la délivrance, la durée et la période de prescription de médicaments classés comme stupéfiants. Ces professionnels ont bénéficié dun non lieu. Le décès par surdosage dun jeune patient a cependant conduit sa famille ainsi que le parquet à faire appel de cette décision.
A ce jour, le taux de prescriptions non conformes à la réglementation est limité en ce qui concerne les opiacés (Skénan, Moscontin). En revanche, les prescriptions de Subutex et Rohypnol explosent, et linspection de la pharmacie a eu connaissance de lexistence dun "trafic" de ces deux médicaments se développant actuellement en centre ville de Montpellier."
Pourquoi fait-on un amalgame entre la détention de méthadone et ces médicaments ? Il apparaît pourtant cliniquement que lutilisation de méthadone en traitement de substitution réduit le recours, labus et le mésusage des médicaments cités.Il lui était reproché
de ne pas avoir fait de publications de niveau international (!)
"Dans sa déclaration, il se présente comme un ancien universitaire, spécialiste du traitement de la toxicomanie ayant participé comme expert à diverses commissions du ministère de la santé.
La consultation de banques de données confirme quil a bien exercé les fonctions de maître de conférence à la Pitié-Salpétrière et quil a été membre de deux groupes de travail du haut comité de santé publique (stratégie pour une politique de santé et dépistage de linfection par le VIH) et de la commission Soubie (commission santé 2010 chargée de donner un avis sur les réseaux de soins).
Elles font état de quelques publications2. Peu sont de niveau international et il est rarement cité en premier rang. A noter quaucune ne concerne lévaluation des médicaments de substitution aux opiacés."3
Patrick de la Selle, médecin généraliste depuis trente ans, a reçu plusieurs centaines de patients, il a participé régulièrement, comme auditeur et comme expert, à des séances de formation médicale initiale et de formation médicale continue. Doù vient la compétence en médecine ? De la formation initiale et continue, de la fréquence de la confrontation à un problème, de léchange des pratiques avec les confrères... et pas nécessairement de publications de niveau international.
1 Les textes en italique sont extraits :
- du procès-verbal du 3 mai 2005 de la commission des auditions du Conseil départemental de lOrdre de lHérault ayant entendu le docteur Patrick de la Selle le 25 avril 2004 ;
- de lavis du 21 février 2006 de lInspection régionale de la pharmacie, Direction régionale des affaires sanitaires et sociales de la région Languedoc-Roussillon.
2 6 publications indexées sur PubMed.
3 - Ce qui est inexact, cf
Bilal S., Menares J., De la Selle P. et al.,
"Impact des traitements de substitution aux opiacés sur la vie sociale - Une étude en médecine de ville",
Annales de médecine interne, 2003, 154, HS 2, 6-14.