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Les résultats de la ligne d'aide à l'arrêt mise en place en Grande-Bretagne tels que présentés dans une étude publiée dans la revue Addiction1 s'avèrent décevants. L'occasion de préciser les conditions nécessaires à une aide efficace : professionnalisme des interlocuteurs, progression dans la prise en charge, durée de celle-ci, mais aussi utilisation des substituts nicotiniques.
La prévalence du tabagisme reste élevée dans tous les pays dEurope de lOuest et aux Etats-Unis (25 à 30%) malgré le développement des campagnes de prévention médiatiques, linstauration de lieux de prise en charge spécialisés (unités hospitalières de tabacologie en France et au Royaume-Uni, cliniques aux Etats-Unis) et de lignes daide à larrêt par téléphone.
Beaucoup de fumeurs et de personnels soignants restent encore mal informés des mécanismes du tabagisme, du type de dépendance à la cigarette dont sont victimes les fumeurs (dépendance physique requérant une aide médicamenteuse, dépendance comportementale requérant un changement de comportement se heurtant parfois à des traits ou des troubles psychologiques nécessitant une prise en charge spécialisée de plusieurs mois). La majorité de la population croit encore quarrêter de fumer est une question de simple volonté et sous-estime limportance de la durée de leffort à effectuer (en général au moins 3 mois).La référence californienne
La référence des quitlines internationales est celle de Californie, décrite dans les différents articles publiés par S.-H. Zhu2,3. Cette ligne est animée par des conseillers téléphoniques disposant dun diplôme supérieur et formés à la tabacologie pendant 60 heures. Les fumeurs sont pris en charge en fonction de leur progression dans larrêt du tabac durant des entretiens de 50 mn où ils travaillent leur motivation, la perception de leur efficacité personnelle, choisissent une date darrêt, travaillent la prévention des rechutes, renforcent leur nouvelle identité dex-fumeur. Ces entretiens sétalent sur 3 mois et sont effectués par le même conseiller, qui a donc un abord personnalisé de chaque fumeur.
Cette ligne intègre trois paramètres importants : professionnalisme des interlocuteurs, progression dans la prise en charge (dabord arrêt puis maintien), durée de la prise en charge. Manque toutefois un élément de prise en charge essentiel chez les fumeurs dépendants : lutilisation des substituts nicotiniques ou dautres médicaments daide à larrêt. Une enquête est dailleurs en cours où lutilisation de ces substituts sera intégrée.
Une étude de lefficacité de la prise en charge proposée sur la ligne californienne (suivi sur 3 mois avec 6 entretiens versus absence de suivi mais possibilité de rappel) publiée dans le New England Journal of Medicine3 démontre une supériorité de ce mode de suivi par rapport à labsence de suivi, et ce en termes dabstinence continue à 1, 3, 6 et 12 mois.
La ligne française Tabac Info Service prend en charge les fumeurs qui le souhaitent selon les recommandations de la conférence de consensus sur le sevrage tabagique de 1998 et de lAfssaps de 2003 en proposant des entretiens avec des interlocuteurs tabacologues, des conseils pour lutilisation de traitements daide à larrêt médicamenteux, lorientation éventuelle vers un professionnel de terrain et une prise en charge comportementale avec un suivi adapté à chaque fumeur (au minimum 5 entretiens de 15 à 30 minutes sur un délai de 3 mois) durant lequel les thèmes de la ligne californienne sont intégrés.Les limites de la ligne britannique
Le mode opératoire de la ligne britannique, qui se réclame pourtant de celui de la ligne californienne, pour cette étude présentée par H. Gilbert et S. Sutton dans Addiction1, est beaucoup plus sommaire car il est essentiellement réactif en pratique courante. La mise en place dun protocole de suivi pour les appelants fumeurs sest heurtée à de multiples difficultés. Les conseillers ont une formation courte en tabacologie (25 heures), les entretiens sont brefs (10 mn). Les entretiens du protocole ne tenaient pas compte de la progression des fumeurs dans larrêt puisquils étaient dispensés sur une période courte (6 semaines maximum). Les fumeurs étaient pris en charge à chaque appel par un conseiller différent, ce qui peut obérer la fluidité et la personnalisation de la prise en charge, ce dautant plus que la ligne utilise 130 conseillers. Aucun traitement daide à larrêt na été conseillé aux fumeurs dépendants physiquement. Or, une bonne partie de la population étudiée avait un degré de dépendance élevé.
Une adhésion médiocre
En pratique, 753 fumeurs ont été intégrés au groupe avec suivi (ils devaient être systématiquement rappelés par la ligne 5 fois) et 704 au groupe contrôle. Les fumeurs du groupe contrôle pouvaient rappeler la ligne ad libitum de même que les fumeurs du groupe avec suivi. Ladhésion au protocole de suivi a été médiocre (42,2% des fumeurs ont reçu plus de 4 appels programmés, la moyenne du nombre dappels reçus a été de 2,7). Leur durée moyenne a été de 9,4 mn. Le nombre de rappels de la ligne par les fumeurs est identique dans les deux groupes (2,28 groupe contrôle, 1,95 groupe suivi).
Dans les conditions de déroulement du protocole (absence dadhésion au rythme des séances imposée par les conseillers, appels issus des fumeurs en nombre quasi équivalent dans le groupe suivi et le groupe contrôle, 37% de perdus de vue intégrés en fumeurs), aucune différence statistique na pu être relevée sur les effectifs bruts. En revanche, il a pu être démontré après retraitement des données que le fait davoir bénéficié dau moins quatre séances de suivi augmentait de 1,8 les chances dêtre abstinent à un an depuis au moins six mois.Des choix discutables
Contrairement à ce quécrivent les auteurs, cette étude ne permet pas daffirmer quun suivi téléphonique proactif des fumeurs en cours darrêt ne donne pas de meilleurs résultats que lécoute des appels spontanés de fumeurs. Le rythme du protocole utilisé ici ne correspond pas à lévolution des besoins du fumeur (dabord arrêter puis maintenir larrêt), contrairement au rythme utilisé par la ligne californienne. La qualité des conseillers est incertaine, un fumeur donné nest pas pris en charge par un conseiller donné mais par nimporte quel conseiller de la ligne au cours de ses divers entretiens, les entretiens ne sont pas structurés, la durée des entretiens est 5 fois plus courte que celle du protocole californien. Ces choix initiaux discutables peuvent expliquer les difficultés dadhésion au protocole qui ont abouti à ne pas fournir le nombre de rappels prévus.
Aides médicamenteuses
Les déboires rencontrés dans ce type détudes ne doivent pas pousser à renoncer à lutilisation des lignes téléphoniques daide à larrêt dans la prise en charge structurée des fumeurs autour des bonnes pratiques cliniques. Il est impératif de continuer à évaluer quels thèmes doivent être travaillés avec les fumeurs et à quel moment de leur parcours pour améliorer labstinence à long terme grâce au soutien téléphonique. Il est également impératif de sassurer que les fumeurs dépendants physiquement reçoivent bien des aides médicamenteuses en plus du soutien téléphonique, faute de quoi leur tentative darrêt sera difficile et entretiendra la peur de larrêt du tabac encore vivace dans cette population.
1 Gilbert H., Sutton S.
"Evaluating the effectiveness of proactive telephone counselling for smoking cessation in a randomized controlled trial"
Addiction, 2006, 101, 590-8
2 Zhu S.-H. et al.
"Telephone couseling for smoking cessation : effect of single-session and multiple-session interventions"
J Consult & Clin Psychol, 1996, 202-11
3 Zhu S.-H. et al.
"Evidence of real-world effectiveness f a telephone quitline for smokers"
NEJM, 2002, 347, 1087-93