![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Faut-il ouvrir des salles de consommation en France ? Le débat fait rage entre partisans et opposants, alors que plusieurs pays européens ont opté pour cette initiative (Cf. Swaps n° 40-41). Début novembre, une réunion "Non à l'ouverture d'une salle de shoot", organisée par l'ex-collectif anti-crack de Stalingrad, a été l'occasion d'un débat houleux... qui s'est terminée par le "procès" de la réduction des risques. Compte rendu.
"Un plan de longue haleine, orchestré par la Mairie de Paris, vise à créer prochainement dans la capitale la première salle de shoot en France. Nous nous opposons à un tel projet et appelons tous ceux qui nacceptent pas la création dun tel droguatorium à nous rejoindre." Tels étaient les termes de lappel du nouveau collectif "Stalingrad contre les salles de shoot" publié sous diverses formes et même repris dans France-Soir. Cette protestation proposait une réunion de réflexion mardi 15 novembre à léglise Notre-Dame des Foyers (Paris 19e).
Discours dépassé
Le succès ne semble pas au rendez-vous, ce soir de novembre, dans le sous-sol de léglise. Ce sont moins de 30 personnes qui se retrouvent réunies. Les membres du collectif sont une poignée, menés par François Nicolas, déjà à lorigine de lex-collectif anti-crack de Stalingrad.
Mais le débat promet dêtre houleux : des représentants dassociations impliquées dans la réduction des risques sont venus pour écouter et réagir. Dans la salle, on retrouve ainsi Gérald Sanchez de Act Up-Paris, accompagné de Fabrice Olivet, dAsud. Lors du tour de table introductif, ce dernier précise être venu car "surpris par le ton agressif et insultant des tracts. Le discours tenu sur la réduction des risques, je le croyais aujourdhui dépassé". Il souligne dailleurs que son association agit pour que les gens cessent de se haïr, de se taper dessus. Pierre Leyrit, de Coordination Toxicomanies 18e est également présent, mais en revanche, il ny a là aucun représentant dEspoir Goutte dOr (Ego).
Une élue, Roxane Decorte, conseillère UMP du 18e, assiste à la réunion. Elle tient à rassurer tout de suite les participants : la préfecture de Paris sest engagée à ce quil ny ait pas de salle de shoot, et elle sy engage personnellement !
Une petite dame, qui a certainement dépassé les 80 ans, regarde dun air amusé cette assemblée.La théorie du complot
Certes, on peut se demander pourquoi une réunion contre les salles de shoot, alors que celles-ci non seulement nexistent pas, mais ne sont officiellement même pas en projet ! François Nicolas ouvre le débat en exposant les raisons de cet appel, dont le point de départ est certainement les Etats généraux qui se sont déroulés à la mairie du 18e début octobre 2005. Car il y était beaucoup question de linitiative Quai 9 menée en Suisse. "On sest dit quil y avait forcément quelque chose derrière, que lon voulait tester la chose à Paris" souligne-t-il. Il dénonce également la "propagande dEgo, qui a même modifié ses statuts en vue daccueillir cette salle de shoot". Aussitôt, François Olivet et Pierre Leyrit rappellent quEgo na pas obtenu dautorisation douvrir une telle salle mais un Centre de soins spécialisés en toxicomanie (CSST). Mais François Nicolas nen démord pas : "le soin est un prétexte, on peut mettre nimporte quoi derrière. Dailleurs, les dealers ne disent-ils pas quils prennent soin de leurs clients ?"
Il souligne également que "la Mildt a dégagé une ligne de crédits pour de nouvelles expérimentations en matière de crack". Et ces nouvelles expérimentations prendront à coup sûr, selon lui, la forme dune salle de shoot. Enfin, il rappelle un tract publié suite à lexpulsion du squat dans le nord de Paris en septembre 2004. Dans ce document, les associations telles que Ego ou Coordination 18e appelaient à réagir face à cette expulsion. Et leurs propositions incluaient une salle de consommation. Un membre du collectif ajoute : "On veut concentrer la drogue dans le triangle autour de Château-Rouge, pour éviter que cela se répande dans Paris !"
Alors y a-t-il ou non un plan secret visant à créer une salle de consommation dans les locaux dEgo ? "Non, essaie vainement de souligner Pierre Leyrit. De nombreuses associations demandent effectivement louverture dun débat public sur les salles de consommation, mais il ny a pas de complot !"
Gérald Sanchez prend alors la parole, et souligne un paradoxe : "Si vous regardez lhistoire des salles de shoot, celles-ci se sont toujours montées avec laide des associations de riverains qui y étaient opposées au départ." Un schéma paradoxal qui se serait reproduit dans plusieurs villes dEurope. Mais François Nicolas ne semble pas prêt à changer davis sur la question : "On a convaincu les riverains en leur disant quils allaient être plus tranquilles, car on allait mettre les drogués dans des drogatoriums... Cest du pétainisme !"Un cheval de Troie néolibéral ?
Le débat dépasse vite le cadre de la simple salle de shoot. Car le collectif, par la voix de François Nicolas, remet en cause la politique actuelle de réduction des risques (RdR). Il fustige ainsi la politique menée par les gouvernements successifs depuis une vingtaine dannées. "Il y avait 2000 héroïnomanes en 1970, il y en a 280000 aujourdhui", lance-t-il, bien que les chiffres officiels parlent plutôt de 160000 personnes depuis plus de vingt ans. Il dénonce ainsi la loi de santé publique de 2004 et surtout ses décrets dapplication doctobre 2005 qui protègent les actions de réduction des risques (lire Swaps 39) : "Derrière une logique humanitaire se cache une politique néolibérale. Certaines initiatives de la RdR ont certes leur place. Nous ne sommes pas contre les produits de substitution par exemple. Mais ils ne doivent pas servir à démanteler la lutte contre la drogue, être un cheval de Troie !"
Un médecin généraliste de la rue La Chapelle, sympathisant du collectif, ajoute : "En 10 ans, les consommations de médicaments de substitution ont augmenté, et pourtant, lhépatite C a été multipliée par 3 : où est la réduction des risques ?"
Les protestations de Fabrice Olivet, qui souligne la diminution des cas de contamination par le VIH, restent sans écho... Pierre Leyrit essaie de préciser que "la réponse à la toxicomanie ne se limite pas à la substitution : cest réducteur et il ne faut pas simplifier le débat. A un problème complexe, on a des solutions complexes". Dautant plus complexe lorsque le dialogue semble impossible, a-t-on envie dajouter...Sevrage et risque zéro
Mais si le collectif rejette la politique de réduction des risques, que propose-t-il ? François Nicolas expose ainsi la réponse quil juge la plus appropriée : "La question est : "doit-on se battre pour simplement déplacer le problème ou pour aider les gens à sen sortir ?" Mon groupe défend une nouvelle voie, qui nest ni la répression à tout va, ni la RdR."
Au fil de la présentation, cette nouvelle voie se précise : elle insiste sur le sevrage à tout prix, plutôt que la RdR qualifiée de pis-aller : "Les post-cures ont été éliminées car on fait une politique qui coûte le moins cher possible, on tire vers le bas" lance-t-il. Et il évoque la mise en place dun "Samu Toxicomanie" qui irait à la rencontre des usagers pour leur proposer de se sevrer. Mais lidée ne fait pas lunanimité au sein du collectif, puisque lun des membres se prononce contre lidée : "Je ne suis pas certain quune cure de désintox doit toujours être volontaire. Notamment sil y a une injonction thérapeutique."...
Roxane Decorte se pose en faveur de cette désintoxication à tout prix : " La RdR ne donne pas de moyens aux gens de sen sortir. Le centre de post-cure de la fille de Jane Birkin est une piste."
Une dame en bleu marine dans le public va même plus loin. "Le problème, quand on prend des drogues, cest quon abaisse son seuil de vigilance. La seule véritable réduction des risques, cest le risque zéro..." Sensuit un débat houleux et agité, où bien sûr personne nécoute les arguments de lautre. François Nicolas, après avoir tenté plusieurs fois de reprendre la parole ("vous nallez pas saboter ma réunion") lance le mot de la fin : "Il faut réduire les risques... de salles de shoot."Epilogue
Il est 22 heures, les intervenants rentrent chez eux, en se demandant quelle suite va être donnée à cette réunion. Une semaine après, la réponse arrive sous forme dun communiqué : "Le Collectif Stalingrad contre les salles de shoot a obtenu des assurances convergentes (de la Préfecture de Paris, de la Mairie de Paris, de la Mairie du 18e et dEgo) sur le fait quaucune salle de shoot nétait plus prévue à Paris. Le Collectif prend acte de ces déclarations publiques et décide en conséquence de se mettre en état de veille." Le collectif est-il mort avant davoir pu engager quoi que ce soit ? Pas sûr, car il annonce déjà une "enquête sur la problématique des nouveaux soins médicaux dispensables en matière de crackomanie" et une nouvelle réunion début 2006...