![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Les études sur les drogues dans le milieu de la prostitution sont rares. Difficile d'avoir une idée précise des consommations chez les travailleurs du sexe, qu'il s'agisse des hommes, des femmes ou des transgenres. L'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) a publié fin 2004 deux enquêtes originales censées mieux cerner le phénomène.
Il est déjà très difficile davoir des données précises sur la prostitution en France. Alors connaître les consommations de drogues dans ce milieu représente un défi. Néanmoins, lOFDT a lancé deux enquêtes en 2002 pour essayer de comprendre la situation. Les auteurs se sont basés sur des questionnaires et des travaux sur le terrain en lien avec des associations qui interviennent auprès des travailleurs du sexe. Deux comptes rendus ont été édités en 2004, suite à ces travaux : lun sintéressant à la prostitution masculine et transgenre1, lautre à la prostitution féminine2.
Les prostituées et les drogues
Létude menée chez les femmes par lOFDT a eu lieu sur les villes de Paris, Marseille et Lille. 169 femmes ont ainsi pu être interrogées. Celles-ci sont jeunes (âge moyen de 33 ans), mais bien sûr cela dépend des villes (plus jeunes à Paris) et de lorigine (les Françaises ont en moyenne 39 ans, les femmes des pays de lEst 24 ans). A peu près la moitié des femmes viennent dEurope de lOuest, lautre moitié est constituée de migrantes, principalement dEurope de lEst et dAfrique, ainsi que des pays du Maghreb et quelques-unes dAmérique latine.
En ce qui concerne le statut sérologique, 3% se déclarent positives au VHC, 1% au VHB et 2% au VIH. Mais il faut souligner que 10% à 14% des prostituées ne connaissent pas leur statut sérologique pour lune ou lautre des maladies. Et bien sûr, il sagit de déclaratif.
Pour ce qui est de la consommation de drogues, lenquête semble à première vue rassurante : 80% des femmes interrogées ne consomment pas de drogues illicites autres que le cannabis (ce dernier étant dailleurs assez peu consommé). Selon les auteurs, on peut considérer que "seulement" 15% des prostituées sont dépendantes à un produit (alcool ou opiacés).
Daprès les données recueillies, seules 9 femmes ont consommé de lhéroïne dans le mois précédent, mais elles sont 28 à en avoir consommé au cours de leur vie.
Autre chiffre marquant : la consommation de médicaments psychotropes. Un tiers des prostituées en ont consommé au cours de leur vie et 20% dans les trente jours précédents. Antidépresseurs, somnifères et anxiolytiques sont, dans lordre, les plus consommés.
Lune des questions auxquelles ont tenté de répondre les auteurs est la chronologie de cet usage : lentrée dans la drogue a-t-elle précédé ou suivi lentrée dans la prostitution ? Sur le petit échantillon des femmes dépendantes interrogées, cela semble clair, comme le soulignent les auteurs : "Parmi les femmes qui consomment des drogues illicites au moment de lenquête, près de 80% ont commencé à se prostituer après avoir consommé ces drogues ou au moment où elles commençaient. Si la grande majorité des prostituées ne consomment pas de drogues illicites, parmi les femmes consommatrices et qui se prostituent, cette activité est intervenue comme un moyen de financer un usage de drogues qui nétait pas solvable autrement."
Il faut noter lextrême prudence des auteurs en ce qui concerne linfluence des drogues sur la prise de risque en matière sexuelle. Dans cette enquête, les femmes dépendantes aux opiacés reconnaissent un peu plus que les autres ne pas respecter quelques fois les "bonnes pratiques" (fellation sans préservatif par exemple). Mais pour les auteurs, il est impossible de conclure quil y a une réelle différence : une fois quelles ont reconnu leur dépendance dans lenquête, elles sont souvent plus honnêtes dans la suite de lentretien.
Enfin, lenquête montre que même si la consommation de drogues est toujours mal vue dans le monde de la prostitution, la stigmatisation a diminué en 10 ans. Car, dans le milieu des années 1990, on accusait les prostituées usagères de drogues de "voler les clients", de "faire nimporte quoi" ou de "casser les prix". Aujourdhui, ce sont les nouvelles migrantes qui subissent ainsi ce rejet... Létude montre dailleurs que ce sont elles qui subissent le plus souvent les contrôles policiers, les agressions, les vols... Mésaventures qui était lapanage des prostituées consommatrices de drogue dix ans plus tôt.
Consommation de drogue chez les prostituées
Consommations*
Ensemble
des femmes
(n = 169)Femmes
non dépendantes
des opiacés
(n = 147)Femmes
dépendantes
des opiacés
(n = 22)Tabac
Médicaments
Cocaïne ou crack
Cannabis
Opiacés
Poppers
Alcool (dép. ou abus)
Autres stimulants
Hallucinogènes64% (108)
20% (34)
18% (30)
16% (27)
14% (24)
5% (8)
4% (7)
3% (5)
2% (4)58% (86)
16% (24)
7% (10)
7% (10)
1% (2)
(0) -
3% (4)
2% (3)
1% (2)100% (22)
45% (10)
91% (20)
77% (17)
100% (22)
36% (8)
14% (3)
9% (2)
9% (2)*Pour lalcool, le tabac et le cannabis, il sagit des consommations actuelles ; pour les
autres produits, sauf les médicaments, il sagit de la consommation au cours de la vie.Moins dopiacés, plus de cannabis chez lhomme
Lenquête de lOFDT menée dans les milieux de la prostitution masculine a concerné Paris et Marseille. Les auteurs ont à la fois soumis des travailleurs du sexe à des questionnaires et à des entretiens semi-directifs. Ils ont ainsi interrogé 252 prostitués masculins et transgenres, à peu près à parts égales. Lâge moyen était de 24 ans. Lorigine des garçons est essentiellement la France, les pays de lEst ou le Maghreb. En ce qui concerne les transgenres, lorigine est le plus souvent le Maghreb, suivi de lAmérique Latine et de lEurope.
Le statut sérologique est souvent méconnu : deux garçons sur cinq et un transgenre sur dix ne connaissent pas leur statut en matière de VHB et VHC. Chez les autres, la sérologie serait négative.
En ce qui concerne le VIH, 18% des garçons déclarent ne pas connaître leur statut (et aucun transgenre). Seuls 3% reconnaissent une séropositivité. Bien sûr, il faut souligner quil sagit de déclaratif.
En matière de consommation de drogues, linvestigation des substances prises dans les 30 derniers jours donne une idée précise de la consommation :
Alcool, tabac et cannabis sont ainsi les substances les plus consommées par les travailleurs du sexe. Derrière ce trio de tête, on rencontre les médicaments psychotropes, benzodiazépines et barbituriques (soit 20% des personnes interrogées, un niveau équivalent à celui rencontré dans la prostitution féminine). Poppers, cocaïne et ecstasy arrivent bien après.
On notera deux différences majeures avec les femmes : pour le cannabis, la consommation est plus forte. Ceux-ci sont dailleurs à un niveau plus élevé que celui de la population générale. Pour les opiacés, cest linverse : lhéroïne ne concerne que 2% des personnes interrogées, alors que chez les femmes, la consommation dopiacés (héroïne, méthadone, buprénorphine haut dosage et sulfate de morphine) est beaucoup plus élevée. Comment expliquer ce point ? Les auteurs avancent une hypothèse : "Ce type de drogues semble incompatible avec la pratique prostitutionnelle des garçons et des transgenres, celle-ci exigeant du prostitué davoir une belle apparence et une bonne tenue dans le but de plaire au client. Le monde de la prostitution est régi comme un espace marchand et le corps du prostitué est son instrument de travail ; lapparence physique a une valeur marchande, le rapport et la négociation avec le client exigent une maîtrise de ses actes." Mais dautres facteurs peuvent entre en ligne de compte : le simple fait que la population masculine soit plus jeune peut également expliquer la moindre consommation dopiacés, et lusage plus fréquent de cannabis.
Lenquête met en avant que chez les travailleurs du sexe, certaines consommations peuvent faire partie de la relation avec le client. Par exemple, lalcool : certains garçons commencent par prendre un verre avec le client. De même, la consommation de cocaïne serait courante avec les habitués "huppés" de la Porte Dauphine.
Il faut toutefois noter que la situation semble avoir évolué fortement depuis 2002 (date de lenquête) et notamment depuis la mise en place des lois sur la sécurité intérieure (lire "La prostitution masculine sest transformée" dans ce numéro). Il serait certainement intéressant de renouveler celle-ci, à plus grande échelle, pour justement essayer de mieux cerner les liens entre drogue et prostitution aujourdhui.
Si cette enquête reste imparfaite, il y a au moins un point qui semble se dégager des chiffres et des témoignages sur les liens entre drogue et prostitution : difficile de dire que la drogue fait entrer dans la prostitution, ou que la prostitution favorise la consommation de drogues. Mais ce qui est sûr, cest que la précarité et lexclusion font entrer dans les deux...
Produits consommés les 30 derniers jours
Produits consommés Total par catégorie et pour lensemble des prostitués
Garçon
Transgenre
Total = N
Total %
Alcool
Tabac
Cannabis
Somnifère
Poppers
Cocaïne
Ecstasy
Calmant
Antidépresseur
Héroïne
Crack
Subutex
Amphétamine
Solvant
Méthadone74%
75%
51%
7%
12%
4%
12%
2%
3%
2%
2%
1%
1%
0%
0%84%
76%
62%
22%
14%
12%
2%
7%
2%
1%
0%
1%
0%
1%
1%198
189
142
36
33
20
18
11
7
4
2
2
1
1
178%
75%
56%
14%
13%
8%
7%
4%
3%
2%
0,8%
0,8%
0,4%
0,4%
0,4%Plusieurs réponses possibles
1 La consommation de drogues dans le milieu de la prostitution masculine,
Lindinalva Laurindo da Silva et Luizmar Evangelista,
Observatoire français des drogues et toxicomanies et Trend (Tendances récentes et nouvelles drogues), octobre 2004.
2 La consommation de drogues dans le milieu de la prostitution féminine,
Suzanne Cagliero et Hughes Lagrange,
Observatoire français des drogues et toxicomanies et Trend (Tendances récentes et nouvelles drogues), octobre 2004.