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SWAPS nº 40/41

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67e CPDD

La substitution Made in USA

par Florence Arnold-Richez

Pour sa 67e édition, le congrès du College on Problems of Drug Dependence (CPDD), qui s'est tenu en juin à Orlando (Floride), s'est montré, as usual, comme le supermarché nord-américain des études tout terrain : fondamentales, épidémiologiques, cliniques, sur toutes les addictions. Zoom sur deux points : les traitements de substitution à la buprénorphine et le meilleur accès aux traitements de l'hépatite C.

Aux Etats-Unis, la buprénorphine peut être dispensée par des médecins généralistes en ville ou par des équipes de cliniques spécialisées, sous forme orale, depuis octobre 2002. Une initiative observée à la loupe et aujourd’hui validée, après de multiples études d’évaluation, conduites sous l’impulsion et la supervision du National Institute on Drug Abuse (Nida). Ce qui a conduit à l’élaboration d’un protocole et à la publication, pour ce 67e CPDD, de "Guidelines" (recommandations), sous le titre A Treatment Improvement Protocol.

Une "bible" pour la buprénorphine
Comme son homologue réglementant la prise en charge des patients héroïnomanes par la méthadone, cette "bible" précise les dosages à prescrire, la durée des traitements ainsi que les conditions que doivent remplir les médecins pour être qualifiés et agréés pour s’occuper d’usagers de drogues avec ce médicament de substitution. Parmi celles-ci: l’obligation de se soumettre à une formation agréée minimale de 8 heures et la limitation du nombre de patients sous buprénorphine à trente1.
Aujourd’hui, aux Etats-Unis, les évaluations font état de 200000 patients sous méthadone ou LAAM, 5000 sous naltrexone, et environ 150000 sous buprénorphine. Un accès aux soins encore très insuffisant puisqu’on estime le nombre des héroïnomanes à près d’un million. Or, "l’épidémie" des toxicomanies aux opiacés est loin de faiblir Outre-Atlantique si l’on en croit l’Office of National Drug Control Policy, qui la qualifie de "plus forte vague depuis la deuxième moitié des années 1970". Sans parler de la multiplication par deux, entre 1994 et 2001, du nombre des abuseurs dépendants de médicaments antalgiques !
Aussi, après avoir réservé la buprénorphine au cadre étroit de protocoles expérimentaux et observé "l’expérience française" avec une certaine incrédulité (les Guidelines y font d’ailleurs référence), les autorités responsables de la politique de santé en matière de drogues ont tranché. Sans ambiguïté : "Les études ont montré que le traitement par la buprénorphine réduit les consommations de drogues, augmente le maintien des patients dans le traitement, a peu d’effets secondaires et est accepté par la plupart des patients."

La révolution de la prise en charge en ville
Aux Etats-Unis, les deux maîtres mots de la réussite des traitements de substitution à la méthadone ont toujours été retention et diversion : la rétention des patients dans les protocoles - plutôt rigides - de "cure", et l’évitement du détournement (diversion) des médicaments sur le marché noir. D’où la volonté de réserver les traitements d’entretien aux structures lourdes, contrôlées par les pouvoirs publics. L’institutionnalisation de la prise en charge en médecine de ville des patients toxicomanes représente donc une véritable révolution.
Mais, pour la valider aux yeux de l’opinion publique et des responsables politiques, il fallait - c’est bien le moins - prouver que le jeu en valait la chandelle. Une étude nationale2, longitudinale, sponsorisée par l’Administration des services toxicomanie et santé mentale (Samhsa/Csat), dont les résultats ont été présentés à Orlando, fait autorité.
Au total, 385 usagers sur 120 sites ont été interviewés par téléphone lors de l’initiation du traitement, la première semaine, et au bout de 30 jours. 93% étaient de type caucasien, 57% des hommes, âgés en moyenne de 37,2 ans, 42% avaient un emploi à plein temps et 56% suivaient des études. Particulièrement intéressant: plus d’un quart des personnes interrogées (26%) étaient de nouveaux "arrivants" dans le système de soins aux toxicomanes, et 60% n’avaient jamais été traités par la méthadone. Au bout de 30 jours, 87% des patients suivaient toujours le traitement.
Ces résultats montrent bien que l’introduction de cette nouvelle modalité de prise en charge des patients aux Etats-Unis a permis de toucher une nouvelle catégorie d’usagers, mieux insérés dans la société et vraisemblablement moins lourdement toxicomanes que la clientèle habituelle des protocoles de soins à la méthadone.
De la même façon, les populations les plus marginalisées et "comorbides" se sont montrées également aptes à en bénéficier : une équipe de Boston3 a comparé l’efficacité de ces traitements par la buprénorphine dispensés à 46 patients sans domicile fixe suivis dans une clinique spécialisée (Homeless Clinic) et par 41 autres, pris en charge dans un programme de soins en médecine générale (Primary Care Clinic). Les premiers étaient des cas plus "lourds" : 32% étaient VIH+, 91% VHC+ et 90% déclaraient avoir eu des troubles mentaux. Ils étaient toxicomanes depuis 17 ans en moyenne, avaient déjà multiplié les essais de désintoxication et très peu profitaient d’un soutien social (6%). Les patients du second groupe, suivis en externe, n’avaient que 3 ans en moyenne de toxicomanie et 4 essais de désintoxication derrière eux, 92% avaient un soutien social. 4% seulement étaient VIH+, 43% VHC+, et 54% disaient avoir souffert de troubles psychiatriques.
Résultats inattendus : les taux de maintien à 3 et 12 mois étaient équivalents dans les deux groupes (80% et 57% parmi les Homeless et 100% et 59% parmi les patients du second groupe). A la fin de l’année, 91% des analyses trimestrielles d’urines des Homeless étaient négatives contre 83% de celles des patients suivis dans les Primary Care Clinics.

Hépatite C : il faut cesser d’exclure les toxicomanes !
Autre grande nouveauté aux Etats-Unis : l’ouverture des traitements de l’hépatite C aux héroïnomanes, depuis la deuxième conférence de consensus de 2002, organisée par le National Institute of Health (NIH), et ouverte aux experts du sida. Ainsi, de nombreuses études et posters présentés à Orlando ont montré que la plupart des critères d’exclusion définis lors de la première conférence de 1997 n’avaient plus de pertinence (consommation de drogues ou d’alcool, dépression...).
Malheureusement, il semble qu’il y ait encore loin de la coupe aux lèvres Outre-Atlantique (comme en France), car les toxicomanes par voie intraveineuse accèdent encore bien peu à ces traitements. Et les connaissent encore mal. Ainsi, dans une étude4 menée à Baltimore, New York et Seattle, 626 patients ont été interrogés à ce propos : 84% connaissaient l’existence du traitement interféron-ribavirine, 66% pensaient qu’il était "safe", mais 48 % imaginaient qu’il pouvait prévenir l’apparition des symptômes de la maladie mais non la guérir. Parmi les patients VHC+, seuls 67 (20%) s’étaient vu proposer un traitement, que 16 d’entre eux avaient commencé. Parmi ceux-ci, seuls 9 patients ont poursuivi ce traitement jusqu’au bout.

Le Fibroscan®
franchit l’Atlantique

Autre nouveauté, celle-là française, présentée par trois posters en Floride : le Fibroscan® (Echosens), une nouvelle méthode non invasive (en cours de validation) de détection rapide de la fibrose hépatique, qui utilise la technique des ultrasons. Elle a déjà fait ses preuves chez des malades alcooliques et toxicomanes. Cet examen, non douloureux, bien accepté par les patients, fournit des résultats fiables (à 95%-97%) en 5 minutes, exprimés en kiloPascals (kPa). Il permet d’écarter le diagnostic de cirrhose, dans 95% des cas, et de détecter des cirrhoses qui restent "muettes" sur le plan biologique. L’étude des complications de la cirrhose est aussi possible. Enfin, la mise en oeuvre de cette technique de dépistage renforcera la motivation des patients alcooliques et toxicomanes pour se soigner.



1 Consulter www.samhsa.gov
2 CC McLeod et al., "30-day outcomes for buprenorphine patients treated by a national sample of qualified physicians : Findings from CSAT’s Evaluation of the Buprenorphine Waiver Program", PB 125
3 CT LaBelle et al., "Treating homeless opioid-dependent patients with buprenorphine in an office-based setting", PB 133
4 ET Golub et al., "Perceptions and preferences regarding HCV treatment among HCV-infected injection drug users in three U.S. cities", PB 7