![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
La réforme de l'assurance maladie est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Quel impact a-t-elle sur les personnes sous traitement de substitution aux opiacés ? Les médecins des centres de soins spécialisés pour toxicomanes ou de centres de cure ambulatoire en alcoologie peuvent-ils être désignés comme "médecin traitant" ? Revue de détail des principaux changements avec le docteur Pierre Poloméni, directeur médical de SOS Drogue International à Marseille.
Prévu par la loi du 13 août 2004, et mis en application depuis le 1er janvier 2005, le choix dun médecin traitant est obligatoire pour tous les assurés sociaux de plus de 16 ans. Cette orientation fait partie dune grande réforme de lassurance maladie. Elle est le fruit dun nouveau texte conventionnel entre syndicats et assurance maladie.
Le choix du médecin traitant
Les assurés ont jusquau 1er juillet 2005 pour adresser à leur caisse primaire dassurance maladie (CPAM) un imprimé "Déclaration du choix du médecin traitant" rempli avec le médecin désigné comme tel. La consultation de ce médecin sera alors obligatoire avant daller en consulter un autre, qui sera un "médecin correspondant". Cest à lassuré dinformer la caisse du médecin choisi.Tout médecin peut être médecin traitant
Selon larticle L. 162-5-3, "le médecin traitant choisi peut être un généraliste ou un spécialiste. Il peut être un médecin hospitalier. Le médecin traitant peut être un médecin salarié dun centre de santé mentionné à larticle L. 6323-1 du code de la santé publique ou dun établissement ou service visé à larticle L. 312-1 du code de laction sociale et des familles". Donc les médecins des centres de soins spécialisés pour toxicomanes (CSST) et des centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA) peuvent recevoir cette demande de la part des consultants.
A noter : dans un cabinet de groupe (et, par extension probable, dans un CSST ou un CCAA), en cas dabsence du médecin traitant, il est possible de consulter un autre membre du cabinet sans pénalité.Dépassements dhonoraires
Lorsquune personne consulte un médecin sans passer par son médecin traitant, le médecin peut pratiquer un dépassement dhonoraires (de 17,5% maximum) et par ailleurs, le taux de remboursement est plus faible (appliqué à partir du 1er juillet) : moins de 70% sur la base de 23 euros la consultation.
Selon larticle L. 162-26, "un arrêté fixe le montant de la majoration appliquée aux patients qui, sans prescription préalable de leur médecin traitant, consultent un médecin spécialiste hospitalier. Cette majoration ne sapplique pas aux patients suivant un protocole de soins. Elle ne sapplique pas aux consultations et actes réalisés en cas durgence". La façon dont les personnes bénéficiant du "100%" vont payer le dépassement nest pas clairement explicitée.
Ce dispositif est lié à celui de la participation des usagers de 1 euro par consultation (décret du 23 décembre 2004) en sachant que :
- "un décret [...] peut réserver la limitation ou la suppression de la participation des assurés [...] aux prestations exécutées dans le cadre dun réseau de santé ou dun dispositif coordonné de soins" ;
- le montant de cette participation est plafonné (article 20 de la loi), pour toutes les consultations effectuées le même jour auprès du même médecin ou établissement, pour une année donnée, à 50 euros ;
- le tiers-payant devra quand même permettre le paiement de la participation forfaitaire ;
- par contre, les bénéficiaires de la CMU en sont dispensés.
Ici aussi, quelle va être la participation des patients bénéficiant de 100% (ALD) ?
Une orientation préalable
Le dispositif du médecin traitant prévoit donc une orientation préalable du patient par celui-ci pour toute consultation de médecins, quils soient généralistes ou spécialistes - y compris pour les consultations dans les établissements hospitaliers. Lorientation par le médecin traitant se fera avec laccord du patient, dans le cadre du dialogue indispensable entre tout patient et son médecin.
Ne nécessiteront pas cette orientation préalable :
- les consultations de suivi et de contrôle (maladie chronique...) ;
- les consultations prévues dans un protocole de soins (bilan préopératoire...) ;
- les consultations chez le pédiatre, le gynécologue et lophtalmologiste ;
- les consultations dun autre praticien en urgence, ou lorsque la consultation se fait loin de chez soi, en vacances notamment.
Pour une maladie chronique (VIH, hépatite C par exemple), il est donc possible de voir régulièrement un médecin généraliste ou spécialiste sans passer par son médecin traitant (sauf pour la première orientation) : le médecin effectue le suivi dans le cadre de consultations régulières, et alors sans majoration.
Vers un spécialiste correspondant
En pratique, un médecin de CSST peut donc être médecin traitant, et ceci nimplique pas quil assure lensemble des soins liés à une pratique de médecine générale (même si certains, dans le cadre dune relation structurante pour lusager, pourront assurer ce rôle pendant quelque temps au moins). Lorientation pourra être faite vers un médecin généraliste correspondant pour certains soins.
La logique à moyen terme serait cependant que le médecin de CSST/CCAA soit un spécialiste correspondant, qui de toute façon, ne ferait jamais payer de dépassement !
En évaluant la situation en regard des patients suivis dans les CSST/CCAA, il ny a en effet aucun avantage pour eux à choisir le médecin de CSST comme médecin traitant, sauf à vouloir rester dans lanonymat (à condition que cette mesure soit encore appliquée !) et bénéficier de la gratuité, ou à moins de navoir confiance que dans un médecin donné (grande précarité, relation détayage fort...), ou enfin... sils ne sont pas assurés sociaux.
Attention aussi au fait que le médecin traitant aura pour mission la tenue du dossier médical patient (DMP) informatisé hébergé par un serveur distant, et que ce rôle nest pas simple. En dehors des aspects techniques, les médecins de CSST/CCAA nont pas nécessairement les liens informatiques avec les caisses primaires dassurance maladie et les serveurs adéquats. Or leur responsabilité de tout intégrer dans le dossier sera engagée (pas avant 2007 néanmoins).Exemples concrets
Si le patient prend un traitement de substitution, prescription et délivrance en centre seront semblables (que le médecin du centre soit traitant ou non). Si le patient se fait prescrire habituellement ce traitement en ville, il devra choisir, pour son médecin référent, entre deux cas de figure :
- Prendre comme médecin traitant celui du CSST, qui loriente vers un généraliste correspondant. Ce dernier voit ensuite le patient de façon autonome dans le cadre dun protocole de soins ;
- Proposer au généraliste prescripteur dêtre son médecin traitant, le centre spécialisé étant alors un spécialiste correspondant gratuit.
Pour ce qui est du traitement du VHC ou du VIH, les choses sont plus simples, car le spécialiste (ou généraliste en relais) consultant travaillera à honoraires conventionnels dans le cadre dun protocole pour maladie chronique (ALD).
Enfin, les médecins coordinateurs (dans le cadre des appartements de coordination thérapeutique ou des réseaux par exemple) peuvent "dans le texte" être médecins traitants, mais cela ne présente aucun intérêt pour le patient.
Dune façon générale, dailleurs, tous les malades bénéficiant de suivis longs (ALD, protocoles, consultations régulières, etc.) choisiront un médecin traitant (cest obligatoire), mais pourront continuer leurs suivis (par les différents médecins ou services) dans les mêmes conditions quavant.
Un important travail dexplication est donc nécessaire, et la mise en place de cette réforme est peut-être une opportunité supplémentaire daccompagner les usagers vers une socialisation dans le "droit commun".
Lobjectif est clairement la mise en place dun parcours de soins coordonné avec participation du patient, dun réseau, dune filière, un système longtemps dénoncé, aujourdhui plébiscité car accompagné de bénéfices financiers.
Les militants des réseaux ville hôpital des années 1990 pourront soit se réjouir de ces liens organisés, soit sattrister du contrôle par largent de litinéraire des patients. Il faudra suivre les différents arrêtés et évolutions, les jurisprudences, et les effets pervers, qui ne manqueront pas démailler les années à venir.
Il est aussi opportun de sinterroger sur la capacité de contrôle de lassurance maladie de ces circuits, et du coût généré par ces contrôles en regard du bénéfice attendu.