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SWAPS nº 38

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PUBLICATIONS

Zoom sur les accros du tabac

par Aude Segond

Que se passe-t-il dans la tête d'un fumeur ? C'est la question à laquelle ont tenté de répondre des scientifiques de l'Inserm. Leur expertise collective démonte les mécanismes de dépendance qui rendent si difficile l'arrêt du tabac.


Tabac : comprendre la dépendance pour agir
Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), France
Paris : Inserm, 2004, Collection expertise collective,
ISBN 2 85598 829 2, 473 p.

Tous les anciens fumeurs le disent: il est très difficile de "décrocher" de la cigarette. Paradoxalement, les mécanismes de la dépendance au tabac sont encore mal compris. Parmi les milliers de substances contenues dans la fumée de cigarette, plusieurs contribuent à l’installation et/ou au maintien de ce lien. Au premier rang des substances addictives, on trouve bien sûr la nicotine. 

Modification des neurones
Tous les produits qui déclenchent une dépendance chez l’homme ont un point commun : ils augmentent la libération de dopamine1 dans le "circuit de la récompense", un ensemble de structures cérébrales impliquées dans le mécanisme du plaisir. Outre la dopamine, d’autres neuromédiateurs (noradrénaline2, sérotonine3, acétylcholine4) sont également impliqués. C’est ce qui se produit avec la nicotine contenue dans le tabac.
Autre mécanisme à l’origine de l’addiction à la cigarette, la diminution de l’activité des monoamines oxydases (MAO), enzymes participant à la dégradation des neuromédiateurs. En empêchant cette dégradation, les inhibiteurs augmentent les effets et renforcent le mécanisme de dépendance. De plus, inhaler la fumée entraîne des perceptions gustatives et olfactives spécifiques. Alors que la nicotine administrée par voie intraveineuse n’induit pas, ou peu, d’effets sensoriels.
Substance psychoactive, la nicotine agit sur le système nerveux central et la régulation des émotions et de l’humeur, de façon différente suivant les sujets. Ceux qui perçoivent les effets de la cigarette comme bénéfiques présentent ainsi le plus de risques de devenir dépendants. L’hypothèse actuelle penche pour une prédisposition d’ordre psychologique et génétique à la fois au tabagisme, à la dépression et aux troubles anxieux.

La jeunesse part en fumée
Plus l’initiation au tabac est précoce, plus grands sont les risques de devenir dépendant, de fumer à l’âge adulte et d’éprouver des difficultés pour arrêter. De nombreux facteurs favorisent l’initiation : tabagisme familial, facilité d’obtention des cigarettes auprès d’adultes. Le passage de l’initiation à la dépendance est un processus qui peut être rapide chez les adolescents. Les motivations et les comportements de consommation du tabac des jeunes sont différents de ceux des adultes. Les adolescents ne sont pas réceptifs aux mêmes messages de prévention et un grand nombre d’entre eux manifestent l’envie d’arrêter. Mais les trois quarts de ceux qui font des tentatives d’arrêt échouent. Les adolescents sous-estiment souvent leur dépendance, alors que les travaux de recherche montrent que celle-ci s’installe avec une consommation de tabac moindre que chez l’adulte.
Il faut également noter les effets du tabagisme maternel. La nicotine traverse la barrière placentaire et influe sur le développement en particulier cérébral du foetus. L’exposition à la nicotine pendant une période critique du développement foetal pourrait constituer un facteur de vulnérabilité à la dépendance (lire à ce propos l’article du Dr Bertrand Dautzenberg, Swaps no37).

Abstinence difficile
Le processus d’arrêt implique une succession d’étapes qui conduisent le fumeur à la maturité nécessaire au changement. Près de la moitié des fumeurs ne sont pas prêts à arrêter, 30% souhaitent arrêter... plus tard et 20% sont prêts à faire une tentative dans le mois. Les taux d’échec sont importants : dans les trois ans, sur dix fumeurs, sept reprennent une consommation quotidienne et un seul devient abstinent. Pour optimiser les taux de réussite, il serait important de prendre en compte les traits de personnalité de chacun et d’éventuelles vulnérabilités psychopathologiques.
Compte tenu du nombre important de tentatives d’arrêt spontanées individuelles, il est essentiel de proposer des outils susceptibles d’augmenter les chances de succès (brochures au cabinet du généraliste, systèmes experts sur Internet, conseils téléphoniques, etc.). Augmenter le prix des cigarettes, c’est bien; soutenir les fumeurs qui souhaitent arrêter, c’est mieux... 



1 - Neurotransmetteur présent dans le cerveau qui participe à de nombreuses fonctions, notamment la régulation des émotions. La libération de dopamine entraîne une sensation de bien-être.
2 - Neurotransmetteur présent dans le cerveau et activé lors de stimulations sensorielles et émotionnelles liées à l’environnement. Souvent associée au stress, la noradrénaline commande les réactions aux situations d’urgences. Elle entraîne une accélération du rythme cardiaque et la dilatation des bronches. Les effets de la noradrénaline sont proches de ceux de l’adrénaline.
3 - Neurotransmetteur présent dans le cerveau dont l’état actuel des connaissances ne permet pas d’affirmer précisément le rôle. Cependant, il semblerait qu’il permette de soutenir toutes les fonctions émotionnelles, et par conséquent, que le cerveau garde un certain équilibre de fonctionnement.
4 - Neurotransmetteur qui intervient dans le contrôle des muscles viscéraux (coeur, bronches, intestins, vessie, oeil, etc.), des glandes et des muscles du squelette. L’acétylcholine est également impliquée dans les mécanismes du sommeil, de l’apprentissage, de la mémoire.