![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Les salles d'injection existent depuis presque 20 ans dans certains pays comme la Suisse, et l'on en compte plus d'une soixantaine en Europe. Mais la France ne semble pas encore prête à mettre en place ces structures. Quels sont les avantages et inconvénients de ces lieux de consommation ? Revue de détail.
Rapport européen sur les salles de consommation en Europe
Dagmar Hedrich,
Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT),
février 2004
En mars 2004, lObservatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) a publié un rapport sur les salles de consommation de drogue. Basé sur la revue de la littérature existante, il a pour but dalimenter la réflexion actuelle sur la mise en place de tels services.
Population à haut risque
Quappelle-t-on les salles de consommation de drogue ? Ce sont des structures gérées par des professionnels, travailleurs sociaux, infirmiers, médecins ou autres personnes formées à laide durgence et à laccompagnement social, dans lesquelles les usagers ont la possibilité de consommer dans des conditions dhygiène et de sécurité.
Les missions spécifiques des salles de consommation sont :
établir un contact avec une population difficile à atteindre ;
fournir un environnement hygiénique et sécurisé pour la consommation de drogues, en particulier pour lusage par voie injectable ;
réduire la morbidité et la mortalité liées à lusage, en limitant les surdosages, la transmission du VIH et des hépatites ou de toute autre infection ;
promouvoir laccès à dautres services sanitaires et sociaux ;
réduire lusage de rue et les nuisances associées.Aux quatre coins de lEurope
En 2003, il y avait 62 salles de consommation en Europe, réparties dans 36 villes de quatre pays : la Suisse, les Pays-Bas, lAllemagne et lEspagne.
La première salle a ouvert à Berne en 1986. Au début des années 90, les Pays-Bas et lAllemagne inauguraient à leur tour leurs structures et en 2000, lEspagne faisait de même.
Le nombre de places dans chaque salle varie entre trois et seize en Allemagne et entre cinq et douze en Suisse, même sil y a des consommations par inhalation, la majorité des places sont réservées aux injecteurs.
pays
nombre
de salles de
consommationnombre de villes
avec des salles
d'injectionnombre de salles
uniquement pour
les injectionsnombre de salles
pour les injections
et les inhalationsSuisse
Allemagne
Espagne
Pays-Bas
Total12
25*
3
22
627
14
3
12
364
11
3
0
188
13
0
22
43* dont une unité mobile à Berlin
Changement de politique
Au milieu des années 1980, lémergence de lépidémie de sida parmi les usagers de drogue et les conséquences sanitaires et économiques ont mis en avant la nécessité de prévenir la contamination par le VIH parmi les injecteurs.
Les réponses à lusage de drogue ont été élargies grâce à deux mesures importantes: le développement des traitements de substitution et le travail de rue, avec de léducation à la santé incluant les programmes déchanges de seringues. Les nouveaux objectifs étaient donc datteindre des usagers de drogue dépendants, de réduire les comportements à risques et de faciliter laccès aux structures bas-seuil.
Rapidement les équipes de rue qui travaillaient dans les villes où des scènes ouvertes avaient émergé (Berne, Zurich, Hambourg, Francfort) se trouvèrent confrontées à deux dilemmes :
la fourniture de matériel propre dinjection et les conseils prodigués nétaient pas suffisants pour permettre aux usagers des scènes ouvertes de sinjecter proprement ;
le nombre de surdosages et de décès continuait à augmenter parce que les usagers consommaient dans la clandestinité par peur de la répression.
Il devenait alors évident pour les équipes de rue que des lieux étaient nécessaires, dans lesquels les usagers pourraient mettre en pratique les messages de prévention, appliquer les conseils dhygiène et de sécurité et bénéficier immédiatement dune intervention médicale en cas durgence.
Quels que soient les pays, le rapport montre que les salles de consommation ciblent le même groupe dusagers, les injecteurs de rue. Ceux-ci se caractérisent par une extrême vulnérabilité, sont en exclusion sociale, de santé précaire, sans domicile fixe, sans accès aux soins et qui consomment des drogues sans aucune condition dhygiène.
Quelques salles aux Pays-Bas et en Allemagne ciblent des groupes spécifiques tels que les étrangers en situation irrégulière, les femmes ou les prostituées.Des règles strictes
Pour être admis, les clients doivent être des consommateurs réguliers et dépendants à lhéroïne ou à la cocaïne et âgés de plus de 18 ans. Lutilisation des salles est souvent limitée aux résidents locaux pour éviter un afflux dusagers dautres villes. Les règlements interdisent la vente de drogue dans les locaux et les équipes naident pas les clients à pratiquer leur injection.
Dans toutes les salles, les usagers arrivent avec leur produit. La consommation est supervisée par un membre de léquipe, pas forcément un médecin mais dans tous les cas formé à lintervention durgence. Il donne des informations sur les risques, sur les modes de consommation moins dangereux et intervient en cas de surdosage ou de tout autre problème, tels que les crises dépilepsie ou les troubles neuropsychiques liés à lusage de la cocaïne. La fréquence des interventions durgence est inférieure à 4 pour 1000 injections, et moins de 8% ont nécessité une hospitalisation.Des avantages et des inconvénients
Depuis 2000, une quinzaine de nouvelles recherches ont été publiées qui examinent les avantages et les inconvénients de ces dispositifs, les critères dévaluation variant dun pays à lautre.
Les principaux bénéfices espérés se déclinent en quatre points :
la diminution de lusage à haut risque ;
la baisse de la morbidité et de la mortalité ;
laugmentation de la prise en charge sanitaire et sociale des usagers ;
la réduction de lusage de rue et des nuisances pour les riverains.Les salles de consommation touchent ceux qui ne sont pas prêts à se traiter. Une fonction majeure est donc doffrir dautres services daide à la survie, incluant les soins médicaux de base, la nourriture, les vêtements et un abri.
De la même manière, les inconvénients que ces structures peuvent générer sont principalement de trois ordres :
encourager laugmentation de la consommation voire même linitiation de nouveaux usagers (malgré le critère dentrée qui ne retient que les usagers réguliers et dépendants) ;
rendre lusage de drogue plus confortable et plus acceptable, retardant ainsi laccès au traitement de la dépendance ;
faire augmenter les troubles à lordre public, en attirant des usagers et des dealers à proximité des salles.Quelle efficacité ?
Selon le rapport de lOEDT, les salles de consommation atteignent leur objectif dans leur capacité à toucher les populations ciblées ainsi que dans la diminution des décès liés à lusage. Il nest cependant pas évident que, parmi les usagers recrutés, il y ait un grand nombre dinjecteurs. De plus, un manque détudes associé à des problèmes méthodologiques ne permet pas de tirer des conclusions sur limpact direct sur lincidence des infections.
Et pour avoir une couverture suffisante, il est nécessaire de fournir une capacité relative à la taille estimée de la population, dinstaller des salles dans des lieux facilement accessibles et de sassurer que les plages douverture sont assez longues pour répondre à la demande.Consensus et coopération
Les conclusions du rapport montrent que les bénéfices tirés de lexistence des salles de consommation sont bien supérieurs aux risques quelles peuvent générer. Mais il est important de les replacer dans le contexte plus large de lusage des drogues et des réponses à ce problème. En particulier, il nest pas réaliste de penser quelles peuvent prévenir lusage de drogues, persuader tous les usagers de réduire lusage à risque, faire baisser à elles seules la mortalité et la morbidité et résoudre plus largement les problèmes du marché de la drogue et du deal.
Il est important de préciser que ces salles de consommation nont de sens et defficacité que si elles sont reconnues dans le cadre dune politique publique et inscrites dans un réseau de services.
Enfin, elles ne doivent être perçues que pour ce quelles sont, des services spécifiques ayant pour but de réduire les problèmes et les dommages sanitaires et sociaux dune population problématique à haut risque.