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SWAPS nº 28

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Le point sur...

Lorsque le cabinet du médecin devient microstructure...

par Florence Arnold-Richez

Les microstructures médicales qui assurent le suivi des patients sous addiction sont en cours d'expérimentation dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. Elles pourraient faire école dans le reste de la France.

Pour répondre à la demande spécifique de soins des patients sous addiction, il existe une palette de solutions, allant de la prise en charge individuelle au cabinet à l'inscription dans un projet pluridisciplinaire dans un centre de soins spécialisés (CSST), en passant par la gestion des divers problèmes somatiques et psychiques du sujet au sein d'un réseau ville-hôpital. Bref, l'addict' de la rue ou plus ou moins bien inséré, peut choisir aujourd'hui entre la structure légère de première ligne, le cabinet classique plus "posé" dans le quartier, l'institution hospitalière ou le CSST, plus lourds.

Une idée simple
A Strasbourg, l'association Espace Indépendance a inventé une autre façon d'assurer le suivi des patients en créant un réseau de "microstructures" pour personnes pharmacodépendantes à l'intérieur même des cabinets médicaux. La microstructure est un concept qui pourrait faire croire que ses promoteurs "parlent" la langue de bois pour désigner une usine à gaz. En réalité, l'idée en est fort simple et ses promoteurs n'ont pas chaussé leurs semelles de plomb pour y parvenir, même si sa mise au point a demandé, comme tous les projets, bien des allers et retours entre eux, les administratifs, les financeurs éventuels, les tutelles, et les... Bref, ce CSST, pionnier dans bien d'autres domaines (unité mobile de première ligne, mission raves, ateliers artistiques, entretiens de délivrance de méthadone...), a eu l'idée, voilà deux ans, de déplacer dans les cabinets de 14 médecins généralistes du Bas-Rhin et 4 du Haut-Rhin -tous bien évidemment volontaires pour cette expérience- un psychologue et un travailleur social, qui reçoivent dans des plages horaires délimitées (3 heures par semaine), les patients en traitement dans leur cabinet. Cette expérience est financée essentiellement par la Mildt et par le Fonds d'aide de la qualité des soins de ville (le FAQSV géré par les Unions régionales des caisses d'assurances maladie), avec le soutien de la municipalité et du département, tous très impliqués en amont comme en aval de cette expérience. Elle concerne donc, outre les 18 médecins généralistes, 14 psychologues et 5 travailleurs sociaux, salariés pour leur part par Espace Indépendance. Ceux-ci se retrouvent régulièrement avec le médecin pour une réunion de synthèse, et parfois même, dans certains cas encore peu nombreux, avec le pharmacien d'officine du secteur. Le généraliste reste, bien sûr, payé à l'acte. Il est seulement indemnisé pour le temps passé lors de chaque inclusion dans l'expérience et les réunions de synthèse de la microstructure.

Une évaluation en amont
En amont de cette expérimentation, les auteurs du projet ont mis en chantier une évaluation réalisée par le Laboratoire d'épidémiologie et de santé publique de la faculté de médecine de Strasbourg dont Guy Hédelin assure le bon déroulement. Les premiers résultats, intermédiaires, présentés toujours lors d'une "Première journée des microstructures" de Strasbourg en janvier 2001, sont très encourageants. Les résultats de l'évaluation devraient être prêts pour la fin 2003. L'étude comporte deux bras: l'un englobant les patients pris en charge par le médecin seul (161 patients dans le "bras conventionnel"), l'autre par la microstructure (176 inclus dans le "bras microstructure"). Bien entendu, le développement de ces microstructures est inégal et combiné. C'est un peu le constat fait au décours de toutes les expériences de cette sorte, au sein des réseaux notamment : 6 ont inclus moins de 5 patients, 5 entre 5 et 10 patients, 10 entre 10 et 20 patients, et 4 plus de 20 patients (42 pour l'une d'entre elles !). Les 4 microstructures les plus "chargées" (16% du total) regroupent donc 142 personnes, soit 43% du total des inclusions. Elles ont réalisé 457 entretiens psychologiques sur 816 au total (soit 56%), et 280 entretiens sociaux sur 590 (soit 47%). Les premières évaluations ont montré que les médecins étaient satisfaits de l'amélioration de leur exercice, de leur propre tolérance aux "cas lourds", de l'ouverture facilitée sur les pratiques en réseau. Bref, "un meilleur confort de travail". Les patients peuvent dire "autre chose" au psychologue ou au travailleur social qu'au médecin, leur situation sociale et personnelle s'améliore et il semble qu'ils aient moins souvent affaire à la justice dans " le bras " microstructure que dans le conventionnel.

Une ambition culturelle
"Au-delà de la cascade de chiffres des résultats préliminaires qui vont s'affiner avec le temps avant de pouvoir donner lieu à une conclusion valide", comme le souligne Danièle Ledit, la directrice d'Espace Indépendance. "Cette expérience a une ambition culturelle", résume, pour sa part, le Dr Georges-Henri Melenotte, directeur du projet . "Elle s'insère, poursuit ce dernier, dans un contexte de crise de la médecine où se pose à cette dernière une question éthique à propos du corps qu'elle soigne: celle de l'accès au plaisir qu'elle peut offrir -ou pas- à ce corps. La médecine, par la simple puissance que lui donne sa pharmacopée, est en effet aujourd'hui détentrice de ce qu'on peut bien appeler une autorisation qui donne au corps la possibilité de jouir. Et il est de première importance de savoir dans quelle direction elle va s'orienter dans l'usage de cette autorisation, celle du contrôle des plaisirs ou celle de leur satisfaction. Lorsque nous considérons ces patients addicts comme des exclus à qui il faut apporter aide et assistance, nous devons nous montrer attentifs car, en procédant ainsi, nous faisons l'impasse sur ce fait essentiel qu'est leur choix de détériorer leur corps pour un gain de plaisir. La médecine doit bien se prononcer là-dessus : désavoue-t-elle un tel choix et doit-elle alors empêcher sa réalisation, ou doit-elle, au contraire, le reconnaître comme fondé et prêter sa technicité à sa meilleure réalisation possible ? Dans le premier cas, elle récusera toute responsabilité à l'auteur de ce choix et désavouera l'acte de prise d'un produit en le posant comme irresponsable. Dans le second cas, elle reconnaîtra à quiconque le droit de jouir de son corps comme il l'entend et elle contribuera à l'exercice de ce droit".

De l'expérimentation à la pérennisation
Bien sûr, si l'on en croit les bémols mis à la clef de cette musique par certains des médecins "microstructurels" presque tous présents lors de la journée de janvier, ces dispositifs de proximité par excellence, s'il en est, souffrent, pour certains, de manque de lieux appropriés : "Il faut parfois attendre que le bureau du collègue du cabinet de groupe se libère pour les entretiens psy et sociaux. Nous manquons de temps, et nous allons vite nous essouffler", disait l'un d'eux à cette époque.
À ce jour, l'expérience semble bien démontrer le contraire. De fait, presque le tiers des patients a déjà passé le questionnaire à 24 mois. Ils continuent à fréquenter leurs microstructures. Mieux même, la décision a été prise de laisser "jouer" librement la microstructure en dehors des contraintes imposées par l'évaluation lorsqu'elle arrivait en fin de parcours. Là, force a été de constater que l'afflux spontané de patients souhaitant être suivis dans ce cadre était important.
Cette expérience arrive à son terme prévu pour la fin 2003. Beaucoup d'indices font penser qu'elle se poursuivra et s'étendra à d'autres départements pourvu qu'elle trouve les soutiens et les moyens nécessaires.
Une nouvelle pratique en médecine générale vient de naître. Souhaitons-lui extension et durée.

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