Santé
Réduction des Risques
Usages de Drogues


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SWAPS nº 28

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Le VHC en table ronde

par Julien Emmanuelli et Marie Jauffret-Roustide

Organisée par le ministère de la Santé et l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), la première rencontre nationale des acteurs de santé sur le dépistage et la prise en charge globale des personnes atteintes d'hépatite C s'est tenue à Paris en octobre dernier. L'occasion de dresser un nouveau bilan de l'épidémie chez les usagers de drogues (UD) -qui constituent la population la plus touchée-, autour d'une table ronde pluridisciplinaire consacrée à la prévention, l'accès aux soins et à la prise en charge psychologique.

Prévalence
En ce qui concerne la prévalence du VHC, Julien Emmanuelli (InVs) a tout d'abord rappelé que, quelles que soient les études, celle-ci se maintient à un niveau élevé parmi les usagers de drogues (jusqu'à 70% dans l'étude Coquelicot réalisée à Marseille en 20021) et que, contrairement à ce qui est observé avec le VIH, la politique de réduction des risques semble n'avoir que peu d'effet sur cette épidémie. A titre de comparaison, la prévalence du VIH est passé chez les usagers de 40% en 1988 (étude IREP) à 20% en 2002 (étude Coquelicot). Selon cette même étude Coquelicot, le niveau des prévalences est, en outre, particulièrement important chez les plus jeunes (43%), laissant supposer des risques de contaminations très rapides après le début de la consommation.

Dans une cohorte constituée d'usagers séronégatifs pour le VHC (n=165) provenant de 6 centres de prise en charge du Nord et de l'Est de la France, ayant utilisé la voie intraveineuse au moins une fois et suivis trimestriellement pendant un an ou jusqu'à séroconversion, des chercheurs français (Lucidarme et coll.) ont pu estimer un taux d'incidence du VHC variant de 9 à 11% par an, selon le moment de la dernière injection. En faisant l'hypothèse d'un nombre d' usagers de drogues injecteurs actifs compris entre 80000 et 100000 pour la France entière et d'une prévalence du VHC comprise entre 60 et 70%, on peut estimer que le nombre d'usagers injecteurs séronégatifs au VHC se situe entre 24000 et 40000. Rapportés au taux d'incidence observé de 11% par an chez les injecteurs récents de l'étude de cohorte du Nord et de l'Est de la France, cela représenterait un nombre de nouveaux cas annuels de contamination VHC chez les usagers de drogues injecteurs compris entre 2700 et 4400. Plusieurs études ont, par ailleurs, montré que la transmission du VHC chez les UD était également liée au partage du matériel de préparation (eau, filtre, cuillère).

En ce qui concerne le dépistage, la proportion d'usagers disant avoir été dépistés au moins une fois est passé de 72% en 1996 à plus de 90% en 2002. Dans l'étude Coquelicot, outre les problèmes de santé (43% des répondants), les causes principales de pratiques de test semblent liées à des situations de dépistage passif regroupées dans la catégorie "autres raisons" (26,5%), au sein desquelles l'incarcération représente 39% des réponses, la grossesse, l'hospitalisation et le sevrage respectivement 10%. En plus de maintenir un niveau d'accessibilité suffisant au matériel d'injection stérile, un accent particulier doit donc être mis sur l'accès au dépistage et aux soins qui prennent en compte les réticences des usagers à se faire tester pour le VHC (le dépistage VHC en CDAG est souvent appréhendé comme une démarche "longue fastidieuse" qu'une proposition de test réalisé au sein même des structures fréquentées au quotidien pourrait avantageusement remplacer) et à se faire soigner pour leur hépatite (représentations négatives autour du protocole thérapeutique).

Représentations, perceptions
Le Dr Ferradji (CSST Avicenne) a, pour sa part, abordé les questions des représentations et de la souffrance psychique des usagers de drogues en grande dépendance en insistant sur la dimension du "clivage", c'est-à-dire l'absence de lien conscient entre l'usage de drogues et ses conséquences. L'idée principale était de prendre en compte la singularité et la complexité de la personne (travail de restauration de l'image de soi) qui permet de donner du sens à la démarche préventive et thérapeutique.
Etienne Matter (Asud) a présenté les résultats préliminaires d'une étude sur les connaissances des modes de transmission de l'hépatite C chez les usagers de l'espace urbain et festif techno. Les résultats, qui reposent sur un échantillon restreint et non exempt de biais de sélection, sont à interpréter avec précaution. Premier constat : les usagers de l'espace festif techno ne se reconnaissent pas dans la figure du "toxicomane" classiquement associée à l'injection, donc à fort risque d'exposition virale. D'autre part, ces mêmes usagers disent avoir un accès restreint aux supports informatifs. Ces différences inciteraient à diffuser de nouveaux outils de sensibilisation plus adaptés aux pratiques : par exemple, kit sniff ou piercing en milieu festif ou pipes à crack dans l'espace urbain.

Selon le responsable du bus méthadone de Médecins du monde (MdM), Jean-Pierre Lhomme, l'impact limité des actions de réduction des risques sur le VHC incite, en effet, à prendre en compte les autres risques de contamination possibles, les autres modes d'usage (sniffer, fumer notamment le crack qui peut provoquer des blessures dans la bouche), et d'autres pratiques comme le tatouage et le piercing. Afin de faciliter la démarche de dépistage, un accent particulier doit, en outre, être mis sur le travail en réseau et sur la collaboration avec les équipes de liaison, ainsi que sur de nouvelles techniques de dépistage telles que les tests de salive (salivettes) permettant un rendu plus rapide des résultats. Enfin, Jean-Pierre Lhomme a également insisté sur la responsabilisation et la capacité des usagers à se préoccuper de leur santé et à se protéger quand des moyens adaptés leur sont proposés.

Accès aux soins
D'un point de vue clinique, Bernard Filoche (Hôpital Saint-Philibert, Lomme) a exposé les problèmes spécifiques compliquant la prise en charge : polyconsommations (alcool et benzodiazépines), précarité, et traits psychologiques ou psychiatriques fréquemment observés chez les usagers (dépression, instabilité, anxiété, pulsions suicidaires) qui accentuent notamment la vulnérabilité face au traitement interféron et rendent plus difficile son observance. Cette dernière peut cependant être améliorée par l'injection hebdomadaire unique qui peut amener les usagers de drogues à répondre au traitement de manière comparable aux autres catégories de patients. Par son attitude, le corps médical peut également constituer un obstacle à l'accès aux traitements contre l'hépatite C. D'après Bernard Filoche, cela peut expliquer, d'une part les réticences à développer des stratégies de dépistage innovantes du type "salivette" et d'autre part, les freins concernant la possibilité de prise en charge sans ponction hépatique initiale (comme la conférence de consensus sur l'hépatite C de 2002 le recommande). Une des conditions majeures pour améliorer l'accès au traitement des usagers consisterait à renforcer la dimension relationnelle entre usagers, intervenants et cliniciens.
Une idée reprise par Pierre Dellamonica qui a, de même, développé dans son intervention l'idée de réseaux susceptibles de suivre ces patients "particuliers" dont les mailles relieraient hépatologues, infectiologues, généralistes, CSST et psychiatres. En plus de faciliter les échanges et de coordonner les activités de ces différents professionnels, ce type de réseau aurait pour objectif de produire des données susceptibles d'améliorer la prise en charge globale des usagers.

Milieu carcéral
Enfin, les périodes de détention ponctuant fréquemment le parcours des usagers en difficulté, Philippe Chossegros (Hôtel-Dieu, Lyon) considère que cette spécificité doit être prise en compte dans les projets de prévention et de soin. Dans cette perspective, il faut insister sur la réduction des risques en prison où des drogues peuvent circuler, ce qui pose la question de l'utilité de l'eau de Javel. Les traitements de substitution (initiation ou maintenance) doivent également être renforcés afin de limiter les épisodes de craving et de malaise pouvant engendrer des prises de risque. Ce qui nécessite une véritable collaboration entre centres de dépistage anonyme et gratuit (CDAG), unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) et services médico-psychologiques régionaux (SMPR).

Beaucoup de bruit pour rien ?

La journée du 10 octobre 2002 placée sous le signe de l'hépatite C ne restera pas éternellement dans la légende.
Question épidémiologie, on a quand même appris qu'au bout du compte on ne savait pas compter les personnes concernées par cette épidémie. Douze ans après la mise au point du test de dépistage, on patauge toujours dans une évaluation entre 500000 et 650000 personnes infectées. Soyons rassurés, on vient de mettre en place la surveillance des personnes nouvellement prises en charge dans les pôles de référence hépatite C, ainsi qu'un réseau national de laboratoires d'analyses et de biologie médicale.
La Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) et la DGS ont largement exposé le bilan des actions menées dans le cadre du plan hépatite C. Un organisme indépendant a même été mandaté pour évaluer les actions mises en place.
Beaucoup de bruit pour rien ont pensé certains. Le financement des pôles de référence est réparti directement par la Direction centrale. Le reste est distribué dans les services déconcentrés d'Etat au niveau régional, Drass, et finance l'appel d'offres pour les actions dans la lutte contre l'hépatite C. En 2002, un million et demi d'euros ont ainsi été répartis sur l'ensemble des Drass pour les actions hépatite C. Avec la Drass PACA qui avait un plan régional d'avance et qui a décroché au moins 10% du budget et l'Ile-de-France qui au vu de la population est toujours bien servie... Pas étonnant que certaines régions n'aient pas d'actions du tout.
Où étaient passées les associations ? Après un nouveau regard au programme, elles n'avaient qu'un strapontin. Le minimum syndical, deux par table ronde l'après-midi. Pour le reste, l'hépatite C est une affaire de médecins et de directions. Quinze ans de lutte contre le sida ne nous avaient-ils pas permis de comprendre que l'on ne peut soigner les personnes atteintes qu'avec le dialogue, l'échange, leur participation à leur traitement, à la connaissance et aux décisions? Faut-il chaque fois repartir à zéro?