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SWAPS nº 17

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Ecstasy, science et intoxication politique

par Christian Sueur et Rodolphe Ingold

Après le cannabis, le LSD, l’héroïne, la cocaïne, voici sans doute le moment venu de diaboliser l’ecstasy. La "science" est convoquée pour servir d’argumentaire à nos "entrepreneurs de morale" moderne. On ne condamne plus la drogue parce que "c’est mal", mais parce que la science vient nous prouver que c’est extrêmement dangereux. Une campagne médiatique se développe actuellement sur ce thème.

Il y a maintenant deux ans, l’expertise INSERM sur l’ecstasy avait recours au risque de mort subite "quelque soit la dose", pour faire peur aux utilisateurs, et ceci malgré l’évidence d’un risque quasiment nul au plan statistique. Au diable la rigueur scientifique et l’honnêteté intellectuelle, c’est maintenant grâce au fait "qu’il existe aujourd’hui un consensus scientifique sur le fait que la MDMA entraîne une dégénérescence neuronale à moyen et à long terme, différente selon les individus. Nos experts ne savent cependant pas si les neurones détruits vont se régénérer, ni comment" 1, que la guerre à l’ecstasy est relancée.

Nos "chères têtes blondes techno", n’ont qu’à bien se tenir, continuer de danser, mais surtout, arrêter de "gober" innocemment de la MDMA, d’autant plus si les méthodes de testing et d’analyse en laboratoire, initiées dans un but de réduction des risques par les missions rave de Médecins du monde, et poursuivies par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT, programme Sintes), leur ont fait préférer de la MDMA plus ou moins pure, à des produits frelatés.

Non, nous n’acceptons pas que soient systématiquement évitées les discussions scientifiques internationales, nos propres travaux de recherche2 -pourtant financés par les pouvoirs publics- ainsi que notre expérience de cliniciens en contact direct avec les utilisateurs. Et nous ne nous associons en aucun cas à ce discours "politiquement correct", qui fait feu de tout bois pour désinformer et conclure à l’inéluctabilité du danger de la drogue3.

De même, nous déplorons le fait que la plupart des journalistes se contentent de résumés simplistes, et se fassent, dans ce domaine comme dans d’autres, les porte-voix des politiques, qui pour avoir une parole "autorisée", n’ont peut-être pas pour premier souci, l’objectivité en matière de drogues.

Qui peut dire aujourd’hui en France que la MDMA consommée sans abus par des humains, entraîne "une dégénerescence neuronale à moyen et long terme", et des "neurones détruits" chez l’homme? Personne; aucun travail de recherche n’a eu lieu dans notre pays sur le sujet. Aucun de nos experts neurobiologistes ou toxicologue, n’a concrètement travaillé sur ce problème.

Par contre, ce qui est complaisamment médiatisé en France, c’est en tout et pour tout les récentes publications de l’équipe de la John Hopkins School of Medecine de Baltimore (USA), et en particulier les articles de Georges Ricaurte et U.D. MacCann. Or, il faut savoir que ces chercheurs ont été encouragés (moyens financiers à l’appui) par le gouvernement américain, à prouver scientifiquement la dangerosité de l’ecstasy depuis son interdiction et son classement sur la liste des stupéfiants en 1985. A l’époque, l’expertise scientifique faite à la demande du gouvernement américain concluait à l’intérêt de ne pas classer la MDMA sur cette liste des stupéfiants dite "sans intérêt thérapeutique". Le gouvernement américain a pris une décision purement politique en décidant d’interdire la MDMA, allant à l’encontre de ce que disait l’expertise qu’il avait lui-même commanditée.

Que se passe-t-il quinze ans après l’interdiction aux Etats-Unis? Et bien, il est intéressant de constater que l’équipe de Charles Grob, médecin directeur du service de psychiatrie de l’adolescent à l’Université de Californie, a pu mener depuis 1994 une étude de toxicité de l’ecstasy chez l’homme. A l’inverse des discours scientifiques sus-cités, sa conclusion est qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune preuve clinique ou biologique d’une réelle dangerosité de l’ecstasy, consommée sans abus4. La Food and Drug Administration américaine l’a ainsi officiellement autorisé à utiliser à des fins thérapeutiques la MDMA, comme traitement antalgique et antidépresseur chez des cancéreux en fin de vie5. Certes, dans cette hypothèse, le risque de neurotoxicité à moyen ou long terme devrait être secondaire...

Dès lors, comment interpréter le fait que des équipes universitaires dans d’autres pays du monde, soient autorisées à entreprendre ce type d’expérimentation chez des volontaires sains, alors que le risque serait si grand?

Les scientifiques français, qui, nous le rappelons, n’ont effectué aucun travail chez l’homme quant aux effets neurobiologiques de l’ecstasy, seraient-ils "meilleurs" que ceux des autres pays qui acceptent de travailler sérieusement sur ces produits?

Comment expliquer qu’en Espagne, une étude de phase 1 sur l’utilisation de la MDMA chez l’homme se mette en place à Barcelone (Dr. Jordi Cami), et qu’un protocole de traitement par la MDMA chez des patients souffrants de troubles psycho-traumatiques va débuter à l’hôpital psychiatrique de Madrid (P.A Sopelana Rodriguez et J.C. Bouso Saiz). De même, comment comprendre qu’un protocole d’utilisation de la MDMA dans cette même indication du traitement des troubles post-traumatiques soit en cours à l’Université Ben Gourion du Negev en Israël (Dr. Moshe Kotler), et que des études sur des volontaires sains se pratiquent à l’Université de Zurich, pour comparer les effets neurophysiologiques de la MDMA, de la psilocybine et de la kétamine (Pr. Vollenweider). S’agit-il là d’irresponsables? Ces chercheurs considèrent-ils que les patients atteints de troubles psychotraumatiques, ou les "volontaires sains", peuvent sans risque subir des destructions neuronales irréversibles?

Rappelons quand même que l’ecstasy a été utilisé par des dizaines de psychothérapeutes et prescrit à des centaines de patients aux USA dès la fin des années 70 (et ce, jusqu'à son interdiction en 1985), ainsi que plus récemment, en Suisse, de 1988 à 1993. Les auteurs de ces thérapies, tant aux USA qu’en Suisse, continuent d’affirmer que ces traitements sont des traitements sûrs. Aucun trouble particulier permettant d’étayer l’affirmation de dégâts cérébraux n’a jamais été avancé, chez tous les sujets évalués dans des études rétrospectives.

Qu’en est-il réellement des risques liés à la consommation d’ecstasy? Que ce soit lors du symposium "Ecstasy, mécanismes d’action et pathologie", organisé au Collège de France le 2 juin 1999, au sein d’organismes scientifiques reconnus ou dans la presse spécialisée américaine, de nombreux chercheurs discutent les conclusions de l’équipe de Baltimore (conclusions qui sont d’ailleurs elles-mêmes beaucoup plus mesurées que le résumé caricatural qui en est fait en France)5.

Pour ces autres spécialistes, il n’y a actuellement aucune preuve d’une destruction neuronale structurelle irréversible, mais uniquement l’hypothèse d’une modification fonctionnelle de la neurochimie, qui aboutit effectivement à une diminution persistante de la sérotonine intra cérébrale, chez des sujets consommateurs de "grosses quantité" de MDMA, et qui sont d’ailleurs le plus souvent des consommateurs concomitants d’autres drogues. Ces modifications permettent sans doute de comprendre le risque dépressif qui se manifeste parfois chez les utilisateurs de doses massives d’ecstasy.

Certes, l’usage de MDMA est dangereux; c’est particulièrement le cas pour des sujets psychologiquement fragiles, consommant de façon abusive ("un ecstasy par semaine, c’est déjà trop!", comme le rappelle l’association Techno Plus), et mélangeant différents produits psychotropes, licites ou illicites (amphétamines, cocaïne, alcool en particulier), qui plus est dans des conditions environnementales augmentant les risques. Nous avons tous rencontré et soigné de tels patients, sans d’ailleurs avoir constaté de troubles irréversibles qui soient strictement liés à l’abus de produit; les effets de la déplétion sérotoninergique et son cortège de symptômes cliniques semblent disparaître sous traitement en quelques mois. Ce qui persiste, ce sont les troubles psychologiques qui préexistaient aux prises de drogue.

Le risque le plus grave de la consommation d’ecstasy, c’est celui de troubles psychologiques lors d’abus ou de polyconsommation. Voilà ce qui, de notre point de vue, devrait être mis en avant dans l’intérêt de la santé des consommateurs. Voilà ce qui serait véritablement entendu par les jeunes gobeurs d’ecstasy, car cela correspond à leur savoir empirique, à l’observation simple de leur environnement. Voilà ce qui serait pris au sérieux par ces jeunes, et qui permettrait un véritable accès aux soins pour ceux qui vont mal.

Christian SUEUR, Rodolphe INGOLD



1)
Citation de Nicole Maestracci, présidente de la MILDT, dans Le Monde du 3 février 2000.
2)
SUEUR C., BASTIANELLI M. et coll.: Rapport de Recherche-Action: Usages de drogues de synthèse (ecstasy, LSD, dance-pills, amphétamines...) Réduction des risques dans le milieu festif techno, Médecins du Monde - Ministère de la Santé, octobre 1999, 475 p. INGOLD R.: Ecsta, trip, coke et speed. Approche ethnographique de la consommation d’ecstasy et de ses dérivés, ainsi que des autres drogues licites et illicites associées, IREP - OFDT, octobre 1999.
3)
SUEUR C., ZISKIND C., LEBEAU B., BENEZECH A., DENIEAU D.: Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques - Revue de la littérature, Revue Documentaire Toxibase, janvier 2000.
4)
GROB C.S.: MDMA research: preliminary investigations with human subjects, International Journal of Drug Policy, 1998, 9, 1.
5)
GROB C.S., POLAND R.E., CHLEBOWSKI R.: Safety and efficacity of 3,4 MDMA in modification of physical pain and psychological distress in end-stage cancer patients, Departement of Psychiatry and Medicine, Harbor-UCLA Medical Center, 1997.
6)
En particulier, "Positron emission tomographic evidence of toxic effect of MDMA on brain sertonin neurons in human beings", The Lancet , 1998. 352 (9138). 1433-1437, et "Memory imparirment in abstienent MDMA users", Neurology, décembre 1998.