![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Après le cannabis, le LSD, lhéroïne, la cocaïne, voici sans doute le moment venu de diaboliser lecstasy. La "science" est convoquée pour servir dargumentaire à nos "entrepreneurs de morale" moderne. On ne condamne plus la drogue parce que "cest mal", mais parce que la science vient nous prouver que cest extrêmement dangereux. Une campagne médiatique se développe actuellement sur ce thème.
Il y a maintenant deux ans, lexpertise INSERM sur lecstasy avait recours au risque de mort subite "quelque soit la dose", pour faire peur aux utilisateurs, et ceci malgré lévidence dun risque quasiment nul au plan statistique. Au diable la rigueur scientifique et lhonnêteté intellectuelle, cest maintenant grâce au fait "quil existe aujourdhui un consensus scientifique sur le fait que la MDMA entraîne une dégénérescence neuronale à moyen et à long terme, différente selon les individus. Nos experts ne savent cependant pas si les neurones détruits vont se régénérer, ni comment" 1, que la guerre à lecstasy est relancée.
Nos "chères têtes blondes techno", nont quà bien se tenir, continuer de danser, mais surtout, arrêter de "gober" innocemment de la MDMA, dautant plus si les méthodes de testing et danalyse en laboratoire, initiées dans un but de réduction des risques par les missions rave de Médecins du monde, et poursuivies par lObservatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT, programme Sintes), leur ont fait préférer de la MDMA plus ou moins pure, à des produits frelatés.
Non, nous nacceptons pas que soient systématiquement évitées les discussions scientifiques internationales, nos propres travaux de recherche2 -pourtant financés par les pouvoirs publics- ainsi que notre expérience de cliniciens en contact direct avec les utilisateurs. Et nous ne nous associons en aucun cas à ce discours "politiquement correct", qui fait feu de tout bois pour désinformer et conclure à linéluctabilité du danger de la drogue3.
De même, nous déplorons le fait que la plupart des journalistes se contentent de résumés simplistes, et se fassent, dans ce domaine comme dans dautres, les porte-voix des politiques, qui pour avoir une parole "autorisée", nont peut-être pas pour premier souci, lobjectivité en matière de drogues.
Qui peut dire aujourdhui en France que la MDMA consommée sans abus par des humains, entraîne "une dégénerescence neuronale à moyen et long terme", et des "neurones détruits" chez lhomme? Personne; aucun travail de recherche na eu lieu dans notre pays sur le sujet. Aucun de nos experts neurobiologistes ou toxicologue, na concrètement travaillé sur ce problème.
Par contre, ce qui est complaisamment médiatisé en France, cest en tout et pour tout les récentes publications de léquipe de la John Hopkins School of Medecine de Baltimore (USA), et en particulier les articles de Georges Ricaurte et U.D. MacCann. Or, il faut savoir que ces chercheurs ont été encouragés (moyens financiers à lappui) par le gouvernement américain, à prouver scientifiquement la dangerosité de lecstasy depuis son interdiction et son classement sur la liste des stupéfiants en 1985. A lépoque, lexpertise scientifique faite à la demande du gouvernement américain concluait à lintérêt de ne pas classer la MDMA sur cette liste des stupéfiants dite "sans intérêt thérapeutique". Le gouvernement américain a pris une décision purement politique en décidant dinterdire la MDMA, allant à lencontre de ce que disait lexpertise quil avait lui-même commanditée.
Que se passe-t-il quinze ans après linterdiction aux Etats-Unis? Et bien, il est intéressant de constater que léquipe de Charles Grob, médecin directeur du service de psychiatrie de ladolescent à lUniversité de Californie, a pu mener depuis 1994 une étude de toxicité de lecstasy chez lhomme. A linverse des discours scientifiques sus-cités, sa conclusion est quil nexiste à lheure actuelle aucune preuve clinique ou biologique dune réelle dangerosité de lecstasy, consommée sans abus4. La Food and Drug Administration américaine la ainsi officiellement autorisé à utiliser à des fins thérapeutiques la MDMA, comme traitement antalgique et antidépresseur chez des cancéreux en fin de vie5. Certes, dans cette hypothèse, le risque de neurotoxicité à moyen ou long terme devrait être secondaire...
Dès lors, comment interpréter le fait que des équipes universitaires dans dautres pays du monde, soient autorisées à entreprendre ce type dexpérimentation chez des volontaires sains, alors que le risque serait si grand?
Les scientifiques français, qui, nous le rappelons, nont effectué aucun travail chez lhomme quant aux effets neurobiologiques de lecstasy, seraient-ils "meilleurs" que ceux des autres pays qui acceptent de travailler sérieusement sur ces produits?
Comment expliquer quen Espagne, une étude de phase 1 sur lutilisation de la MDMA chez lhomme se mette en place à Barcelone (Dr. Jordi Cami), et quun protocole de traitement par la MDMA chez des patients souffrants de troubles psycho-traumatiques va débuter à lhôpital psychiatrique de Madrid (P.A Sopelana Rodriguez et J.C. Bouso Saiz). De même, comment comprendre quun protocole dutilisation de la MDMA dans cette même indication du traitement des troubles post-traumatiques soit en cours à lUniversité Ben Gourion du Negev en Israël (Dr. Moshe Kotler), et que des études sur des volontaires sains se pratiquent à lUniversité de Zurich, pour comparer les effets neurophysiologiques de la MDMA, de la psilocybine et de la kétamine (Pr. Vollenweider). Sagit-il là dirresponsables? Ces chercheurs considèrent-ils que les patients atteints de troubles psychotraumatiques, ou les "volontaires sains", peuvent sans risque subir des destructions neuronales irréversibles?
Rappelons quand même que lecstasy a été utilisé par des dizaines de psychothérapeutes et prescrit à des centaines de patients aux USA dès la fin des années 70 (et ce, jusqu'à son interdiction en 1985), ainsi que plus récemment, en Suisse, de 1988 à 1993. Les auteurs de ces thérapies, tant aux USA quen Suisse, continuent daffirmer que ces traitements sont des traitements sûrs. Aucun trouble particulier permettant détayer laffirmation de dégâts cérébraux na jamais été avancé, chez tous les sujets évalués dans des études rétrospectives.
Quen est-il réellement des risques liés à la consommation decstasy? Que ce soit lors du symposium "Ecstasy, mécanismes daction et pathologie", organisé au Collège de France le 2 juin 1999, au sein dorganismes scientifiques reconnus ou dans la presse spécialisée américaine, de nombreux chercheurs discutent les conclusions de léquipe de Baltimore (conclusions qui sont dailleurs elles-mêmes beaucoup plus mesurées que le résumé caricatural qui en est fait en France)5.
Pour ces autres spécialistes, il ny a actuellement aucune preuve dune destruction neuronale structurelle irréversible, mais uniquement lhypothèse dune modification fonctionnelle de la neurochimie, qui aboutit effectivement à une diminution persistante de la sérotonine intra cérébrale, chez des sujets consommateurs de "grosses quantité" de MDMA, et qui sont dailleurs le plus souvent des consommateurs concomitants dautres drogues. Ces modifications permettent sans doute de comprendre le risque dépressif qui se manifeste parfois chez les utilisateurs de doses massives decstasy.
Certes, lusage de MDMA est dangereux; cest particulièrement le cas pour des sujets psychologiquement fragiles, consommant de façon abusive ("un ecstasy par semaine, cest déjà trop!", comme le rappelle lassociation Techno Plus), et mélangeant différents produits psychotropes, licites ou illicites (amphétamines, cocaïne, alcool en particulier), qui plus est dans des conditions environnementales augmentant les risques. Nous avons tous rencontré et soigné de tels patients, sans dailleurs avoir constaté de troubles irréversibles qui soient strictement liés à labus de produit; les effets de la déplétion sérotoninergique et son cortège de symptômes cliniques semblent disparaître sous traitement en quelques mois. Ce qui persiste, ce sont les troubles psychologiques qui préexistaient aux prises de drogue.
Le risque le plus grave de la consommation decstasy, cest celui de troubles psychologiques lors dabus ou de polyconsommation. Voilà ce qui, de notre point de vue, devrait être mis en avant dans lintérêt de la santé des consommateurs. Voilà ce qui serait véritablement entendu par les jeunes gobeurs decstasy, car cela correspond à leur savoir empirique, à lobservation simple de leur environnement. Voilà ce qui serait pris au sérieux par ces jeunes, et qui permettrait un véritable accès aux soins pour ceux qui vont mal.
Christian SUEUR, Rodolphe INGOLD
1) Citation de Nicole Maestracci, présidente de la MILDT, dans Le Monde du 3 février 2000.
2) SUEUR C., BASTIANELLI M. et coll.: Rapport de Recherche-Action: Usages de drogues de synthèse (ecstasy, LSD, dance-pills, amphétamines...) Réduction des risques dans le milieu festif techno, Médecins du Monde - Ministère de la Santé, octobre 1999, 475 p. INGOLD R.: Ecsta, trip, coke et speed. Approche ethnographique de la consommation d’ecstasy et de ses dérivés, ainsi que des autres drogues licites et illicites associées, IREP - OFDT, octobre 1999.
3) SUEUR C., ZISKIND C., LEBEAU B., BENEZECH A., DENIEAU D.: Les substances hallucinogènes et leurs usages thérapeutiques - Revue de la littérature, Revue Documentaire Toxibase, janvier 2000.
4) GROB C.S.: MDMA research: preliminary investigations with human subjects, International Journal of Drug Policy, 1998, 9, 1.
5) GROB C.S., POLAND R.E., CHLEBOWSKI R.: Safety and efficacity of 3,4 MDMA in modification of physical pain and psychological distress in end-stage cancer patients, Departement of Psychiatry and Medicine, Harbor-UCLA Medical Center, 1997.
6) En particulier, "Positron emission tomographic evidence of toxic effect of MDMA on brain sertonin neurons in human beings", The Lancet , 1998. 352 (9138). 1433-1437, et "Memory imparirment in abstienent MDMA users", Neurology, décembre 1998.