![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
Un an et demi après la publication de son premier rapport sur les usages de drogues de synthèse, Médecins du monde a rendu publics en décembre les résultats de la recherche-acion de sa mission rave. Un état des lieux de la population concernée, des produits et des modes de consommation qui pourrait constituer un outil d'aide à la décision pour les pouvoirs publics.
Aller sur le terrain
Lancée en juin 1997, la mission Rave de Médecins du monde (MDM) sest donnée pour but détudier les comportements dusage de drogues dans les raves, de proposer des recommandations visant à la mise en place de pratiques préventives élargies vis-à-vis de labus de ces drogues, de favoriser la réduction des dommages ("harm reduction") liés à la consommation de ces substances, et enfin dimpulser la mise en place de ces pratiques en relais avec dautres intervenants.
Outre un certain nombre dintervenants extérieurs consultés ponctuellement, le groupe de chercheurs en sciences humaines de la mission est composé dethnologues, de sociologues, de psychologues et de psychiatres.
949 questionnaires ont été diffusés auprès de participants aux fêtes technos; et 667 questionnaires de contrôle auprès dune population similaire mais non participante au milieu festif techno.
Au total, 268 questionnaires ont été retenus pour chacun des deux groupes.
Des substances très diverses
Selon Médecins du monde, le groupe techno "a la caractéristique peu fréquente davoir une existence fluctuante": lâge moyen est de 20 ans; 37% sont étudiants, 30% sont salariés, 21% au chômage, en CES ou au RMI; 48% sont logés chez leurs parents; et 72% se déclarent confiants en lavenir.
Quelles soient stimulantes, hallucinogènes ou sédatives, licite ou illicites, naturelles ou synthétiques, les subtances consommées sont très diverses. Le cannabis, lecstasy, les amphétamines, le LSD et la cocaïne sont les psychotropes les plus consommés. Les alcools forts sont aussi présents que les produits opiacés tandis que lusage de kétamine, un produit apparu plus récemment, tend à se développer.
Par rapport au groupe contrôle, les différences très significatives vont de labsence de consommation de certains produits comme la kétamine, le Gamma OH/GHB et le Cristal, à une consommation deux fois plus fréquente chez les technos de produits comme le cannabis et les médicaments ou dix fois plus fréquente - toujours chez les technos- damphétamine, decstasy, dacide/LSD ou dopium/rachacha.
Quant aux motivations de consommation, elles varient selon les individus: 64% ont consommé de lacide pour faire lexpérience, 48% par plaisir et 35% pour séclater en dansant. Pour lecstasy, ces pourcentages atteignent respectivement 52%, 53% et 54%.
Enfin, 23% des technos interrogés ne sestiment pas assez informés sur les effets de lecstasy et 63% sur ses composants; 33% sur les effets de lacide et 62% sur ses composants. Leurs informations proviennent essentiellement damis usagers (73%), dexpérience personnelle (65%) ou des médias (35%).
Près de 40% de médicaments
95 produits ont été analysés par spectrophotométrie de masse et chromatographie en phase gazeuse.
71% dentre eux contenaient une substance psycho-active.
Les seuls produits "propres" étaient des médicaments vendus pour de lecstasy (près de 40%), certains relativement inoffensifs, dautres potentiellement dangereux: Nivaquine®, Artane®, Fonzilane®, Gabacet®, bêtabloquants, tranquilisants, opiacés, anti-histaminiques, corticoïdes, et un anesthésique vétérinaire.
Les drogues illicites représentaient, elles, plus de 60% des échantillons: un quart des comprimés vendus pour de lecstasy contenaient effectivement de la MDMA à des concentrations variant de 30 à 162mg/cp mais, dans la moitié des cas, les produits contenaient des mélanges de MDMA, damphétamines, dopiacés de synthèse et autres précurseurs de la MDMA.
Enfin, un nombre considérable de pilules contenaient des amphétamines (25%), éventuellement en association avec de léphédrine et de la caféïne. Près de 10% des échantillons restants contenaient dautres drogues psychotropes.
Parmi les drogues de synthèse, un hallucinogène majeur, le DOB, et un mineur, le 2CB.
Sur les 2666 produits testés avec le test de Marquis, 33,3% produisaient une réaction évocatrice de la présence de MDMA ou dune autre phényléthylamine de la même famille; 42,2% évoquaient la présence damphétamine; 3,9% celle dune phényléthylamine hallucinogène (2CB...); et 20,5% présentaient une réaction inconnue ou ininterprétable.
De lintérêt du "Safer-drug"
Autant déléments qui amènent MDM à souligner la nécessité de développer une réflexion sur le concept de "safer-drug", cest-à-dire de favoriser la consommation des drogues les moins dangereuses au détriment des plus toxiques. Pour lassociation, il paraît notamment intéressant de réfléchir à deux fois face à linterdiction systématique de toute nouvelle molécule de synthèse, avant même davoir pu évaluer correctement son éventuelle dangerosité.
Et Médecins du monde dédicter un certain nombre de recommandations:
- élargir les confrontations dexpériences au niveau européen;
- améliorer la qualité de linformation scientifique sur les drogues de synthèse;
- décliner le terme de prévention en redéfinissant le discours, les relais, et le cadre législatif pour linformation objective;
- favoriser et soutenir la prise en charge des activités dinformation et de réduction des risques par les groupes dautosupport;
- favoriser la présence sur les évènements festifs dantennes sanitaires mobiles;
- faire ingérence dans la politique de la drogue en vue de l"assainissement" du marché des subtances illicites;
- favoriser laccès aux soins;
- créer des dispositifs thérapeutiques expérimentaux pour accueillir, dans un espace temps réservé, ce type dusagers;
- favoriser la création de lieux daccueil comme des "boutiques" ou "cafés techno" pour accompagner la descente et faire face au "coup de blues du troisième jour".
Isabelle Célérier