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SWAPS nº 11

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Etat des Lieux : Traitements de substitution et mortalité

Le Subutex® : Une approche de substitution intéressante mais pas sans risque

par Marianne Storogenko

Découverte en 1973, la buprénorphine a tout d'abord été utilisée pour ses propriétés analgésiques (Temgésic®), avant d'être mise à disposition pour traiter les pharmacodépendances aux opiacés sous le nom de Subutex®. La buprénorphine haut-dosage (comprimés sublinguaux dosés à 0,4 mg, 2 mg, 8 mg) est ainsi utilisée dans les traitements de substitution depuis 1996.

La buprénorphine est un morphinomimétique de synthèse. Elle induit modérément les effets euphoriques de l’héroïne sans générer ses effets sédatifs, dysphoriques et hallucinatoires (2,8). Ces propriétés peuvent modifier le potentiel d'abus des autres drogues.

La buprénorphine est liposoluble et lipophile. La lipophilie favorise sa fixation au niveau central. Cette fixation rapide, puissante et durable explique l'absence de corrélation observée entre les taux plasmatiques et les effets cliniques. Administrée par voie orale, la buprénorphine est largement inactivée lors du premier passage hépatique, moins de 20 % passe dans la circulation systémique. L'administration sublinguale permet d'éviter ce premier passage hépatique. En 8 minutes, 81 % est absorbé. La biodisponibilité absolue de la buprénorphine varie alors entre 25 % et 55 % suivant les sujets (24). L'absorption de la buprénorphine est suivi d'une phase de distribution rapide. Très rapidement la buprénorphine diffuse dans les tissus, passe la barrière hémato-méningée, d'où des taux cérébraux nettement supérieurs aux taux plasmatiques. Cette fixation tissulaire est durable, ce qui explique la longue durée d'action du Subutex® (supérieure à 24 heures) (1,24). Le métabolisme du Subutex® est hépatique. Ces métabolites ne passent pas la barrière hémato-méningée et sont éliminés essentiellement dans les fécés.

Les études cliniques entreprises par administration sublinguale chez l’homme ont mis en évidence un effet plafond pour ce qui est du traitement de la douleur. Ainsi, en moyenne au delà de 8 mg de buprénorphine, les effets ne sont plus dose-dépendants (22,23). Enfin, il a été montré que la buprénorphine administrée aux doses adaptées aux patients prévient la consommation d'héroïne (11,12).

Effets indésirables

Bien que la dose efficace de cette molécule soit très nettement inférieure à la dose mortelle (index thérapeutique élevé) et que sa toxicité soit assez faible, la buprénorphine présente des effets indésirables pouvant aller des simples effets secondaires types opiacés à la dépression respiratoire sévère. Ainsi, l'administration intraveineuse de buprénorphine à des doses thérapeutiques induit de manière doses et temps dépendants un myosis, une dépression respiratoire, une augmentation de la pression artérielle et du rythme cardiaque (17).

En France, de février 1996 à octobre 1997, 29 cas d'intoxication et 20 cas de décès ont fait l’objet d’une étude particulière (15, 19, 21). L'étude rétrospective des intoxications a montré que tous avaient pris de la buprénorphine à forte dose. Ces patients présentaient un myosis serré, un coma (score de Glasgow < 11), une hypoventilation alvéolaire et une diminution de la saturation en oxygène. Seuls 2 sujets ont été hospitalisés plus de 24 heures. Les quantités de buprénorphine prises étaient variables, souvent mal connues et peu corrélées aux manifestations cliniques (21).

Chez les 20 sujets décédés, le syndrome d'asphyxie était constant. Aucun des corps ne présentait de lésion traumatique suspecte. La recherche dans le sang et les urines de toxiques a été systématiquement entreprise, tant par des méthodes immunochimiques que par chromatographie liquide avec détection par barrettes de diodes et chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse. Ainsi la recherche de plusieurs milliers de composés a pu être réalisée : produits stupéfiants, psychotropes, solvants, alcool éthylique... Tous avaient pris de la buprénorphine. Les concentrations sanguines de buprénorphine étaient faibles, soit d'ordre thérapeutique soit légèrement supérieure. Cela s'explique par la grande lipophilie de la buprénorphine et sa rapide distribution tissulaire. Ainsi dans les 8 cas où au cours de l'autopsie des dosages tissulaires ont été réalisés, les concentrations trouvées étaient très supérieures à celles observées dans le sang. L'imputabilité de la buprénorphine n'est pas dans tous les cas évidente. Seul un décès semblerait être dû uniquement à la buprénorphine. Dans les 17 autres cas la prise de buprénorphine a été associée à celle de benzodiazepines. Or l'association benzodiazepine-buprénorphine est connue pour induire des dépressions respiratoires sévères (6, 7, 16). En effet, certaines benzodiazépines potentialisent les effets dépresseurs centraux de la buprénorphine (6). Des effets semblables sont observés avec la méthadone (4, 14, 18). La prise de benzodiazépine semble donc constituer un facteur de risque d'accidents graves chez les sujets sous buprénorphine.

Le second facteur de risque consiste en la prise, par voie intraveineuse, de buprénorphine à très forte dose. Le broyage d'un comprimé sublingual de Subutex® 8 mg et sa dissolution dans l'eau procure, par injection, une dose de buprénorphine très supérieure à celle obtenue par voie sublinguale (19, 20, 21). A ce jour, aucune étude n'a été entreprise, aucun cas rapporté quant aux effets de la buprénorphine à des doses suprathérapeutiques par voie parentérale et notamment en bolus intraveineux. Sur 8 des 20 décès, des traces d'injections récentes ont été observées, dans 5 cas des seringues contenant des résidus de Subutex® ont été retrouvées à proximité des cadavres, posant donc la question de l’imputabilité du Subutex®. Or il est connu que l'injection intraveineuse mais aussi épi ou péridurale de cette molécule aboutit à une saturation quasi immédiate des récepteurs centraux aux opiacés, origine des dépression respiratoires sévères (3, 5, 10).

Subutex® mode d’emploi

La nécessité si ce n’est l’efficacité des traitements de substitution des héroïnomanes semble une notion aujourd'hui acquise (9, 13).

En septembre 1997, il y avait en France, 40 000 usagers de drogues traités par le Subutex®, soit approximativement 25 % des héroïnomanes connus (23), alors qu'ils n'étaient que 33 000 en décembre 1996. La politique française de substitution commence à porter ses fruits : de nettes diminutions des overdoses, de la consommation d'héroïne, des délits sont observées. En parallèle, les premiers cas de décès où l’imputabilité de la buprénorphine est évoquée mais non démentie sont publiés. Ces constatations incitent à rappeler les conditions et prérequis nécessaires à l'instauration d'un traitement de substitution et à demander des investigations approfondies lors de la survenue d'intoxication aux opiacés.

Le traitement de substitution ne peut se concevoir que dans une relation thérapeutique. Une prise en charge globale du patient est indispensable tant pour prévenir et traiter les pathologies médicales et psychiques concomitantes, que pour soutenir son engagement. La prescription de Subutex® doit être réalisée dans un encadrement défini, strict et médicalisé. Les effets indésirables observés doivent faire l'objet d'une surveillance médicale et paramédicale structurée. Il est nécessaire au cours de la phase d'initiation du traitement de réduire, voire stopper la consommation de benzodiazépines. Il est indispensable d'expliquer au patient les effets secondaires liés à son traitement de substitution, de lui exposer les risques encourus lors de la prise associée d'autres molécules telles les benzodiazépines ou les barbituriques. Chez les patients " injecteurs ", il peut être indispensable de contrôler la prise sublinguale du Subutex®. Si les injections perdurent malgré cette prise en charge, une modification de la thérapie, une adaptation de la prise en charge du patient s'imposent. Il est recommandé de s'appuyer sur les réseaux constitués tant de spécialistes que de généralistes, de médecins que de pharmaciens, de centres spécialisés que de centres de soins généraux. Seule une collaboration étroite entre les différents acteurs de santé, formant une véritable équipe pluridisciplinaire, peut éviter des dérives fatales.

Le Subutex® a une marge de sécurité clinique importante. Il est cependant nécessaire de mieux connaître les détournements de son usage et leurs conséquences. Une étude plus systématique des cas d'intoxication aux opiacés (fatales ou non), une recherche plus large des substances incriminées, des investigations cliniques et analytiques plus approfondies permettraient de mieux connaître les effets de cette molécule, mais aussi d'autres, à des doses suprathérapeutiques, administrées par voie intraveineuse et prises en association avec différents médicaments ou toxiques. Ces études rétrospectives permettraient d'acquérir des connaissances pharmacologiques et comportementales indispensables à la prévention des intoxications et des décès ; d'adapter encore mieux les traitements et prises en charge des patients. Il serait alors possible d'informer les praticiens sur des effets documentés plutôt que de les alerter sur des risques supputés. Mais n'est-ce pas là le fondement et le but de la pharmacovigilance à laquelle tout acteur de santé doit participer ?



1 - BREWSTER D.. The systemic bioavailability of buprenorphine by various routes of administration. J. Pharmacie. Pharmacol., 1981, 33, 500-506.
2 - COWAN A.. Agonist and antagonist properties of buprenorphine, a new antinociceptive agent. Br. J. Pharmacol., 1977, 60, 537-545.
3 - DOWNING J.W., GOODWIN N.M., HICKS J.. The respiratory depressive effects of intravenous buprenorphine in patients in an intensive care unit. S. Afr. Médecin. J., 1979, 55, 1023-1027.
4 - DUAUX E., LAQUEILLE X., OLIE J.P.. Les décés liés à la méthadone. La revue du praticien, 1996, 10, 51-54.
5 - FAROQUI M.H., COLE M., CURRAN J.. Buprénorphine benzodiazepines and respiratory depression. Anaesthesia, 1983, 38, 1002-1003.
6 - JAIN P.N., SHAH S.C.. Respiratory depression following combination of epidural buprénorphine and intramuscular ketorolac. Anaesthesia, 1983,48, 898-899.
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8 - LEANDER J.D.. Buprenorphine has potent kappa opioid receptor antagonist activity. Neuropharmacology, 1987, 26, 1445-1447.
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20 - TRACQUI A., REYNAUD M., PETIT G., POTARD D., LEVY F., KINTZ P., COURTY P., BOYE A., LUDES B.. Danger de l'utilisation détournée d'une association benzodiazépines- buprénorphine. Synapse, 1997, 133, 41-46.
21 - TRACQUI A., TOURNOUD C., FLESCH F., KOPFERSCHMITT J., KINTZ P., DEVEAUX M., GHYSEL M.H., MARQUET P., PEPIN G., JAEGER A., LUDES B.. Intoxications aigües par traitement substitutif à base de buprénorphine haut dosage. Pesse Med., 1998, 27, 557-561.
22 - WALSH S.L., PRESTON K.L., BIGELOW G.E., STITZER M.L.. Acute administration of buprenorphine in humans : partial agonist and blockade effects. J. Pharmacol. Exp. Therap., 1995, 274, 361-372.
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24 - WEINBERG D.S.. Sublingual absorption of selected opioid analgesics. Clin. Pharmacol. Ther., 1988, 44, 335-342.