![]() Réduction des Risques Usages de Drogues |
La prison peut être un lieu à risque pour la transmission du VIH et du VHC. Malheureusement, la mise en place de la réduction des risques y reste, en France, très en retrait, n'assurant pas le droit constitutionnel à la santé.
"Les drogues, les aiguilles et les seringues arrivent à traverser les plus épais et les plus sûrs des murs de prisons"1. Comme à lextérieur, il y a de lautre côté des murs un marché des drogues illicites. En 2003, à loccasion de lenquête sur la santé des entrants en maisons darrêt, le tiers des nouveaux détenus déclaraient ainsi une consommation prolongée et régulière de drogues illicites au cours des douze mois précédant lincarcération2. A côté de ces personnes déjà consommatrices à leur arrivée en prison, un nombre non négligeable de détenus initient une consommation de substances psychoactives licites ou illicites une fois à lintérieur3.
VIH, VHC : des risques de transmission élevés
Si la consommation de cannabis en prison est assez connue, certains ont plus de mal à admettre que dautres substances circulent, et avec elles des modes de consommation particulièrement à risque. Pourtant, différentes études françaises et internationales évoquent la pratique de linjection en prison. Dans lenquête Coquelicot4, pour nen citer quune, 12% des usagers de drogues ayant fait au moins un passage en prison déclarent sêtre injectés pendant leur incarcération, et parmi eux 30% ajoutent avoir partagé leur matériel avec dautres.
Même si la pratique de linjection est relativement peu fréquente, elle présente en détention des risques maximum. Face à la pénurie de seringues, les injecteurs sont en effet contraints de réutiliser leur matériel, de le partager, voire den fabriquer de toute pièce avec des objets plus ou moins contendants, plus ou moins propres, à lorigine de diverses lésions et infections. Cette situation est dautant plus préoccupante que la prévalence du VIH et du VHC est beaucoup plus importante parmi la population incarcérée quen population générale, faisant de la prison un milieu à risque élevé de propagation du sida et des hépatites virales.
Depuis plus de 15 ans, diverses institutions exhortent dailleurs les pouvoirs publics à prendre des mesures concrètes pour réduire les risques. Dès 2001 en France, la Mildt préconisait la diffusion la plus large auprès des personnes incarcérées des modalités dutilisation de leau de javel comme désinfectant des matériels dinjection. En 2004, lOMS, lOnusida et le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime incitent les gouvernements à mettre en uvre des programmes complets de RdR en détention comprenant la mise à disposition de préservatifs, deau de javel, des traitements substitutifs (notamment des traitements dentretien à la méthadone) et des programmes déchange de seringues.Des recommandations restées lettre morte
Où en est-on de lapplication de ces recommandations ? Le titre du rapport denquête sénatorial sur les 187 établissements pénitentiaires français publié en juillet 2000 - "Une humiliation pour la République" - reste malheureusement souvent dactualité :
En matière daccès aux préservatifs : force est de constater quil y a une grande disparité entre les établissements. Tous nen proposent pas, dans certains la distribution est limitée aux heures douverture du service médical et les détenus qui en auraient les moyens ont rarement la possibilité den cantiner. Il faut dire que lintroduction de préservatifs en prison se heurte encore à de nombreuses difficultés tant "philosophiques" que pratiques. La sexualité en milieu carcéral reste largement taboue - quil sagisse des relations entre les détenus ou leurs compagnes au moment des parloirs, des rapports, consentis ou non, entre détenus ou de prostitution dans un milieu ou lhomophobie est de rigueur.
En matière dapprovisionnement en eau de javel : dans beaucoup détablissements, leau de javel est bien distribuée, mais souvent sans mode demploi et avec un degré chlorimétrique qui ne garantit pas une désinfection efficace. Or, utilisée sans respecter strictement son protocole dusage, leau de javel perd son efficacité.
En matière de traitements de substitution : on est loin des préconisations de la Commission nationale consultative des droits de lhomme qui rappelait en 20045 que lobjectif est de donner en la matière "les mêmes possibilités de traitement quà lextérieur" puisque, de lavis même de la DGS, la prescription nest pas assurée partout et la distribution est disparate6. Il y a un vrai problème dacceptation de la substitution par les personnels, pénitentiaires mais aussi médicaux. Les premiers semblent craindre que la distribution de tels traitements nentraîne trafics et mésusages. On peut sinterroger sur cette préoccupation quand on constate que des produits moins marqués dans linconscient collectif peuvent tout aussi bien donner lieu aux mêmes dérives. LUcsa de Fresnes constate ainsi une très étrange consommation de bains de bouche alcoolisés (lalcool étant par ailleurs interdit en détention) ou de Diantalvic©, un opiacé... Quant aux personnels médicaux, lObservatoire international des prisons rapportait dans son rapport de 20057 quils avaient parfois des pratiques assez surprenantes : diminution des doses prescrites à lextérieur, arrêt de la délivrance en quelques mois, distribution de substitution sous forme pilée... Il est vrai que le guide des bonnes pratiques en matière de substitution en milieu carcéral promis par le garde des sceaux en 20048 nest toujours pas paru et que les personnels ne sont pas formés à la question.
En matière de programmes déchanges de seringues : si à lextérieur de tels programmes existent depuis plus de 15 ans et font lobjet dévaluations favorables, il ne semble pas être question de les introduire dans les prisons françaises malgré les recommandations du bureau régional de lOMS pour lEurope de 1991, les conclusions du rapport Dormont de 1996, les recommandations onusiennes de 2004 et le plaidoyer du réseau juridique canadien VIH/sida, qui a évalué les expériences internationales en la matière9.Quid du droit à la santé ?
Cette situation est inacceptable à plus dun titre. En premier lieu il y a là un véritable danger en termes de santé publique. Les personnes incarcérées en France usagères de drogues - et, par voie de conséquence, leurs codétenus et leurs proches - sexposent à un risque important de contamination par le VIH et le VHC et rien nest fait pour assurer efficacement leur protection.
Au-delà de laspect purement sanitaire, rappelons que le Conseil constitutionnel reconnaît depuis une décision du 16 juillet 1971 la valeur constitutionnelle du droit à la protection de la santé. Et la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades a introduit dans le code de santé publique un article stipulant que "le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, (...) les organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent (...) à développer la prévention, garantir légal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible" (article L1110-1).
Outre la discrimination qui frappe les détenus dans le strict accès aux soins, il y a là violation dun droit pourtant placé au sommet de notre hiérarchie des normes.
Echange de seringues en prison :
de la Suisse au Kirghizstan...La Suisse dès 1992, lAllemagne en 1996, lEspagne en 1997, la Moldavie en 1999, le Kirghizstan en 2002, la Biélorussie en 2003, lArménie et lIran en 2004, lUkraine en 2005... Quelques pays ont fait le pari de la réduction des risques en détention et ont initié des programmes déchange de seringues pour les détenus. Ils présentent pourtant plus de différences que de points communs : prisons pour hommes ou pour femmes, encellulement individuel ou collectif, petits, moyens ou gros établissements, maisons darrêt ou établissements pour peines, régime civil ou militaire, jusquaux modes de distribution des seringues par distributeur ou de la main à la main par des pairs, des associations, des soignants en internes ou indépendants. Seuls points communs : une pragmatique vision de la santé publique et des évaluations, imparables9 :
- une sûreté accrue dans les établissements concernés, tant pour les personnels que pour les détenus : les aiguilles des seringues nont pas servi darmes.
- aucune augmentation des consommations ni des injections : la RdR na pas deffet incitatif.
- la réduction des conduites à risques : les détenus nont plus besoin de partager ou réutiliser des seringues usagées, ni den fabriquer de bric et de broc.
- la prévention des transmissions du VIH et du VHC parmi les détenus usagers de drogue par voie intraveineuse et leurs partenaires sexuels.
1 in Rapport Onusida 1997
2 cf. La santé des personnes entrées en prison en 2003,
Drees, Etudes et résultats n° 386, mars 2005
3 cf. La violence carcérale en question,
CNRS-EHESS, juin 2005
4 cf. Estimation de la séroprévalence du VIH et du VHC et profils des usagers de drogues en France,
étude InVS-ANRS Coquelicot, 2004
5 cf. Etude sur les droits de lhomme dans la prison,
CNCDH, 2004
6 cf. Enquête sur les traitements de substitution en milieu pénitentiaire,
Ministère des solidarités, de la Santé et de la Famille, DGS/DHOS, 2004
7 cf. Les conditions de détention en France, rapport 2005, chapitre addictions,
OIP-La découverte
8 Ministère de la Justice, réponse à une question écrite, JO du 27/01/04
9 Léchange de seringues en prison : leçons dun examen complet des données et expériences internationales,
Réseau juridique canadien VIH/sida, octobre 2004, 2e édition 2006.